Restez chez vous ! La formule a eu le mérite de la simplicité. Elle a été le leitmotiv de l’entrée dans le confinement du pays. Et a assuré, par sa compréhension presque instinctive, une partie de leur réussite aux mesures d’enfermement dont nous sortons seulement.
Elle pourrait aussi bien devenir le slogan tellement atypique de la saison touristique dans l’île, enfin celui, un brin paradoxal, que les autorités territoriales ont paru passer auprès de la clientèle affinitaire de la Corse – c’est ainsi qu’on la nomme.
Même au premier jour du déconfinement, il est périlleux en effet de prendre des chemins détournés, surtout quand la distance de sortie autorisée se limite toujours aux 100 km d’une liberté sous contrôle, si vite parcourus. Et ce passeport sanitaire que l’exécutif de la Corse voudrait tant instaurer dès le mois de juin, ce « green pass » qui n’ouvrirait l’entrée au territoire qu’au voyageur nanti d’un test au Covid-19 négatif – valide c’est autre chose -, sonne comme l’une de ces barrières dont l’époque n’est pas avare. Dans la geste nationaliste, la mesure est loin d’être anodine. Elle range en effet souvent le tourisme au chapitre des invasions, fut-elle simplement estivale.
« Si Gilles Simeoni ne veut pas de saison cet été, il n’a qu’à le dire », s’est ainsi exclamé Jean-Noël Marcellesi, le président du Cercle des grandes maisons corses, qui ne voudrait pas devenir bientôt celui des touristes disparus. Ponctuant, son propos d’un tonitruant : « Le masque est tombé ». Comme d’autres, il ne s’attarde pas sur la faisabilité de ce passeport, pas même sur le mur régalien voire constitutionnel contre lequel il pourrait s’abîmer. Mort avant que d’être né comme tellement d’autres sujets, d’une nature voisine, qui jalonnent les débats et nourrissent les palabres de l’Assemblée de Corse, détournant souvent la Collectivité de l’essentiel.
Non, le professionnel du tourisme se soucie davantage du message envoyé et qui, si on en juge par le buzz médiatique soulevé, comparable à celui que le statut de résident fit en son temps, aura produit son effet sur le continent.
Jean-Noël Marcellesi parle ainsi déjà de « coup de grâce » porté à la saison touristique dans l’île.
« Il en serait ainsi des bonnes idées comme des tests, les faux négatifs foisonnent »
Le passeport ou la quatorzaine
Le président de l’exécutif voulait pourtant établir une forme de confiance sanitaire pour tous les touristes qui, dans les ultimes jours qui précèdent l’été, choisiront l’île comme une destination refuge. N’est-elle pas comme le rappelle régulièrement la ministre du Tourisme de la Corse, Nanette Maupertuis, la plus proche des îles lointaines ? Mais dans ce domaine encore, celui de la sécurité sanitaire visée par un passeport, il n’a pas échappé à la critique, à la controverse scientifique, la validité des tests PCR, pourtant considérés par la faculté comme les plus sûrs et les plus fiables, s’imposant seulement dans l’intervalle de temps où ils sont pratiqués. Même pas pour celui du voyage vers la Corse, et surtout pas pour celui du séjour dans l’île.
Il en serait ainsi des bonnes idées comme des tests, les faux négatifs foisonnent.
Et du reste, plutôt que s’aventurer sur le terrain d’une souveraineté qu’elle n’a pas, l’île ou plutôt ceux qui y détiennent une parcelle du pouvoir seraient inspiré d’observer la manière dont l’État, lui-même, tâtonne dès lors qu’il parle de sécurité sanitaire à ses frontières, allumant les feux de la politique où se consume toujours la belle unité nationale, cette chimère.
Sur la mesure de quatorzaine obligatoire faite à tout entrant sur le territoire national, le gouvernement n’en est pas ainsi au premier aller-retour. Ce qui ne vaudrait plus pour le continent, où hors de l’espace Schengen les échanges resteront pour longtemps contingentés, vaudra peut-être pour l’Outre-Mer, voire pour la Corse si le ministre de l’Intérieur vient à le décider.
Le green pass serait alors ravalé au rang de dérisoire coupe-file.
Une ligne de crêtes
« La gestion du risque est nationale. La différenciation n’est pas dans mes valeurs. » Olivier Véran, le ministre de la Santé, a ainsi livré la doctrine, celle qui établit les limites de la décision entre le pouvoir territorial, et un pouvoir central jaloux de ses prérogatives, mais qui dit pourtant s’en remettre dans ce moment de déconfinement, au « génie local ».
La référence – pas le génie – est celle du Premier ministre qui marche pareillement sur cette ligne de crêtes entre enjeu de santé publique dans le pays et nécessité d’une reprise de la vie économique et sociale.
Nous l’écrivions déjà dans une précédente chronique, le gouvernement fait ainsi des maires, ces premiers de corvée. Ce sont eux, ici, avec l’appui de la Collectivité de Corse souvent, qui ont rassuré les populations sur l’approvisionnement et la fourniture en masques pour le 11 mai avec, cette fois, un génie de la proximité et de l’organisation, sans égal dans le monde des élus. Eux, encore, qui invoquant parfois la sagesse comme Ange Santini, et la responsabilité qui leur incombe toujours, ont renoncé à la reprise de l’école, ou l’ont repoussée devant l’impossibilité d’appliquer à la virgule près, les 54 pages du protocole transmis tardivement par le ministère. « C’est un dossier qui se rapproche de ce qui se fait en milieu hospitalier », commentait ainsi, mètre à la main, Patrick Sanguinetti, le bientôt maire de Brando. Eux, enfin, qui en lien avec le préfet, décideront peut-être de rouvrir les plages et les bords de mer, comme le seront dès demain les massifs dans l’île.
Ah, les plages, le plus symbolique des interdits qui résistent encore, après huit semaines et plus de confinement.
« Restez chez vous ! », qu’ils nous disaient alors. Avec raison, d’ailleurs. Le plus dur sera finalement d’en sortir.
SEPT JOURS EN CORSEROGER ANTECH