INTERVIEW. « Désormais, le virus dicte sa loi et commande tout » @CorseMatin

Marie-Antoinette Maupertuis. – La conseillère exécutive, présidente de l’ATC, estime que l’hypothèse d’une année blanche pour le tourisme corse est « probable ». Elle décrypte ici l’effet domino engendré par la crise

Le choc sanitaire dramatique que nous vivons aura forcément des conséquences tout aussi dramatiques pour le tourisme, secteur clé de l’économie insulaire. À quel point ?

Dans le domaine touristique, le choc est d’une violence inouïe, bien évidemment. D’abord, parce que c’est un choc de mobilité. Il y a trois semaines, j’avais compris que le tourisme serait touché très rapidement, des signes avant-coureurs se faisant ressentir dans certaines capitales, même si nous, nous ne sommes pas impactés par le tourisme chinois. Dès lors qu’il s’agit d’un choc de mobilité, on observe, mécaniquement, une paralysie des systèmes de transport, et donc, par effet ricochet, du tourisme. En Corse, cet effet est décuplé car nous avons une part du tourisme dans le PIB qui est très importante, soit 24 % du PIB hors transports, alors qu’on est à 7 % au niveau national. À la clé, un salarié sur cinq travaille dans le secteur touristique en été. Et puis, nous avons un tissu d’entreprises du tourisme composé de très petites structures avec, parmi elles, des entreprises familiales qui ne sont pas adossées à de grands groupes et donc plus vulnérables. Enfin, la crise arrive au moment où nous sortions de l’hiver. Si elle était arrivée en septembre, le choc n’aurait pas été le même. Là, les acteurs touristiques n’ont pas de trésorerie, ils s’apprêtaient à ouvrir pour le printemps, or rien n’ouvre.

Une année blanche pour la Corse, c’est probable ?

Une année blanche, ce n’est pas exclu. Il y a encore quinze jours, le 13 mars, j’ai fait une réunion par visioconférence avec tous les socioprofessionnels, les transporteurs, les autocaristes, l’ensemble des corps de métiers de l’hébergement, les guides interprètes, guides de montagne, etc. On se disait alors que le confinement allait durer un mois, qu’on allait prendre un coup dans la tête, mais que l’on allait rebondir dès la fin du confinement. Le problème, aujourd’hui, c’est valable pour la Corse comme pour l’ensemble de l’économie nationale, européenne et internationale, c’est que seul le virus commande. Le rythme de l’économie et du marché est dominé par les dépêches sanitaires. De ce fait, l’hypothèse d’une année blanche n’est non seulement pas à exclure mais elle est même fortement probable pour l’île. Même si on sort de l’épidémie en mai, admettons, il ne se passera rien en juin, et peu de choses au mois de juillet, parce que, de toute façon, tout va être bouleversé en termes de calendriers, notamment. Autre élément nous concernant, on le voit dans les anticipations puisque nous réalisons une enquête de conjoncture chaque semaine, à l’ATC, auprès de plus de mille entreprises, les entrepreneurs ne se projettent pas pour l’instant sur une ouverture au mois de mai. Au mois de juin, 41 % risquent de ne pas ouvrir. Au-delà, ils attendent d’y voir plus clair face à l’évolution de la crise. Quoi qu’il en soit, l’offre risque de ne pas être au rendez-vous, car même si des touristes arrivent, certains chefs d’entreprise touristique n’auraient aucun intérêt à ouvrir, dès lors que l’amortissement serait on ne peut plus aléatoire au regard, entre autres, des coûts fixes, des recrutements de personnels, sur deux mois de saison. Et s’il y a année blanche en tourisme, les effets induits vont être perceptibles y compris dans le domaine du BTP.

Quel est le taux de réservation actuellement ?

Les réservations sont à zéro. Avec, déjà, un taux d’annulation de 50 %, ce qui est énorme.

Ne craignez-vous pas que l’on en vienne à brader la destination pour rester compétitif sur ce marché déjà tendu en temps normal ?

Si, bien sûr. Et il faut parler d’un autre aspect, la demande, dont personne ne sait ce qu’elle va faire. Il y aura, certes, une baisse du pouvoir d’achat, mais l’on doit également prendre en compte que des gens vont décéder, les familles vont être touchées en plein cœur. Cette maladie pèse sur la vie des gens qui, psychologiquement, ne vont plus être dans le même état d’esprit. Et ceux qui bougeront ne vont pas partir à l’autre bout du monde. Les observateurs et spécialistes du tourisme se disent que pour des raisons de sécurité et de peur du rebond éventuel à la rentrée, les voyageurs resteront sur un marché domestique. De ce fait, la priorité, c’est de conserver notre système productif. Il y aura des dégâts, certainement, cependant, il faut que le système touristique insulaire parvienne à absorber le choc pour avoir le moins possible de dommages collatéraux et que l’offre puisse, au moins en partie, demeurer en place tout en étant compétitive. Mais, bien évidemment, le risque aussi, c’est que le client soit exigeant et que l’on ait une baisse des prix. Beaucoup n’iront pas vers une guerre des prix parce qu’une guerre des prix en économie est toujours fatidique pour une destination. L’équation est très compliquée, tant en volume qu’en prix.

« Nous sommes dans un séisme »

Faudra-t-il que les opérateurs de transport, aérien notamment, revoient leurs tarifs à la baisse ?

Encore une fois, la spécificité de cette crise, c’est qu’elle nous fait basculer dans l’incertitude totale. Les transporteurs, comme l’ensemble des opérateurs du tourisme avec lesquels nous sommes en contact en permanence auront très certainement à revoir et leur stratégie commerciale et leur stratégie de communication. Mais à l’heure actuelle, aucun d’eux ne donnera une information, on ne sait même pas quand vont rouvrir les aéroports. Nous sommes dans un séisme d’une amplitude énorme. On entre dans un tunnel dont on ne connaît ni le diamètre, l’étendue de la catastrophe, ni la profondeur, la durée.

L’onde de choc, combien de temps pour la surmonter ?

L’onde de choc va se répercuter longtemps. Plus rien ne sera comme avant. En économie, également, il y aura un avant et après Covid. Parce que cette crise va toucher à la façon de produire, on voit que nos chaînes d’approvisionnement sont coupées, ce qui nécessite de réfléchir à la façon dont on va fonctionner en autarcie, en autonomie également, par exemple sur le plan énergétique, avec la mise en avant des circuits courts. De leur côté, les consommateurs ne vont plus consommer comme avant, avec en toile de fond, une notion de sécurité de plus en plus aiguë, et une communication, au sens large, qui se fera automatiquement de manière différente. C’est pour cela que les polémiques actuellement ne servent à rien. D’autant qu’il n’est pas démontré scientifiquement que la polémique est une mesure barrière.

« Sauver le système productif avant qu’il ne soit trop tard »

Un plan de communication de 3,8 M€ est prévu pour faire face aux mois de disette qui s’annoncent. Il est opérationnel ?

Ce plan de communication n’est pas encore en place parce qu’au regard de l’incertitude qui règne, faire un plan de communication actuellement peut-être un coup d’épée dans l’eau.

C’est une stratégie sur laquelle nous sommes en train de réfléchir avec des spécialistes au cas où s’ouvrirait une fenêtre et que l’on pourrait considérer que l’on sort de l’épidémie. À ce moment-là, on ciblera certains marchés, et l’on fera ce qu’il faut, l’ATC sera là, à hauteur d’environ 4 M€. Je le répète donc, faire une campagne dès à présent serait contre-productif et cela serait, en outre, indécent par rapport aux drames qui sont en train de se jouer sur le plan humain.

En parallèle, tout un dispositif pour aider les entreprises à garder la tête hors de l’eau…

Absolument. Cette campagne est complémentaire du travail que nous avons fait avec l’Adec, la Collectivité de Corse et tout le conseil exécutif pour des aides en trésorerie de manière très rapide, parce que, j’insiste, il faut sauver le système productif avant qu’il ne soit trop tard, car certains ne se relèveront pas. Ces aides se concrétiseront notamment par des avances sur trésorerie avec le soutien de la Cadec, un dispositif intitulé Sustegnu-Covid-19 avec la CCI régionale – les entreprises corses étant concernées au premier chef avec un effet levier jusqu’à 120 M€ -, une contribution de la Corse au fonds national de solidarité pour accompagner les très petites entreprises (TPE) et en particulier les indépendants, les autoentrepreneurs qui sont nombreux dans le domaine touristique, avec une contribution à hauteur d’un million et le versement de 1 500 euros par mois abondés par 2 000 euros supplémentaires via la Collectivité. Nous mettons également en place un fonds territorial de garantie pour les entreprises et les associations. Au final, c’est tout un dispositif d’urgence pour injecter de la trésorerie et essayer de tenir. Il sera d’ailleurs révisable en fonction des courbes sanitaires.

D’aucuns, parmi les acteurs touristiques, estiment déjà que c’est très largement insuffisant. Ce que vous opposez ?

En tout cas, en termes de réactivité, nous avons réagi en dix jours, ce qui relève de l’exploit, avant même d’autres régions françaises alors que nous sommes une petite région avec un petit budget. Nous avons conscience qu’après les mesures d’urgence, il faut préparer la suite. Notre souci aujourd’hui, c’est véritablement l’intérêt général et non l’intérêt particulier d’un tel ou d’un tel. Le travail effectué avec l’ensemble des parties prenantes du tourisme vise à sauver le plus de monde possible. Chaque entreprise est importante. Nous sommes, avec cette crise, au-delà de la mini-crise qui avait été engendrée par la grève de la SNCM en juillet 2014 lorsque nous avions été bloqués pendant deux mois. À mon sens, ce qu’il faut, c’est une exonération totale des charges de la part de l’État. La place du tourisme est trop importante dans notre économie, les effets de court, moyen et long terme seront tellement denses que je ne vois pas comment on peut arriver à redresser la barre sans commencer par cette mesure.

La saisonnalité n’est-elle pas un facteur aggravant quand on sait que nombre d’établissements vivent des recettes de la haute saison ?

Bien sûr. Il faut renforcer cela, quand on lisse sur l’année, le choc est moins violent. Notre système est vulnérable parce qu’encore trop hyperconcentré dans l’espace et le temps. Cette crise doit nous inciter à repenser un certain nombre de choses. Les énergies doivent se focaliser pour penser le tourisme corse de demain. En attendant, il faut que toutes les entreprises qui le peuvent résistent et je suis prête à coordonner une action très forte là-dessus. Il s’agit désormais de trouver des coordinations différentes nous permettant d’identifier des innovations pour faire en sorte que l’on soit encore une destination attractive. À cet égard, la façon dont on gère la crise sanitaire est très importante, c’est pourquoi le président de l’Exécutif mettait l’accent sur ce point, c’est important pour sauver des vies mais aussi sauver les valeurs et ce que nous sommes.

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