ans cet article on va vous parler de surtourisme mais aussi d’overtourisme, de contretourisme, de soustourisme, de touristification, de Tout Tourisme, de tourismocratie, de tourismophobie, de touristophobie, de surfréquentation, de disneylandisation. Chaque terme a un sens. Certains existent déjà. D’autres pas encore. Il faut bien se divertir un peu….
Maire d’une petite commune coquette mais muette, gestionnaire d’une station touristique tranquille mais futile, vous jalousez ces villes et autres ilots touristiques inondés par des flots de visiteurs où journalistes et reporters aiment à tendre stylos et caméras pour raconter là une surfréquentation saisonnière, ici un surtourisme ravageur, ailleurs une disneylandisation spectaculaire, voir un overtourisme apocalyptique. Chez vous, vos administrés s’ennuient, le café de la place se meurt, et les habitants n’ont plus d’ennemis communs à se mettre sous la dent depuis que votre équipe phare est dramatiquement descendue en D2. Et pourtant, une solution existe, un ennemi potentiel idéal, l’épouvantail parfait qui vous permettra à nouveau de souder, fédérer, raviver et animer vos troupes : le Touriste, cet être étrange et transitoire reconnaissable à son esprit grégaire et à ses attributs caractéristiques, finalement un voyageur lambda en tongs, short, casquette multiplié à l’infini !
Recette infaillible pour faire naitre un touristophobe !
Prenez une ville moyenne. Ouvrez les vannes et les accès en multipliant les liaisons aériennes low-cost et les grands axes bétonnés, facilitez également la diffusion des offres Airbnb de façon à bien titiller les hébergeurs classiques quitte à faire une OPA sur le parc locatif de votre ville, puis lâchez des hordes de touristes bienheureux qui, loin de chez eux, oublient jusqu’à la définition d’une poubelle ou d’un décibel sonore, vous y êtes presque… Dernier détail, assurez-vous de bien concentrer l’ensemble de ces troupes joyeuses sur une période estivale où les esprits sont prompts à s’échauffer et aux cœurs de quelques sites majeurs voire autour de deux ou trois rues pittoresques du centre-ville. Et bien sûr, ne prenez surtout pas le risque de consulter les habitants, puisqu’ils sont vos touristophobes en puissance…
L’impact du tourisme de masse sur les villes
A Barcelone, où quelques 85 millions de visiteurs ont été injecté au fil de l’année 2023, la recette était tellement au point qu’elle a généré des réactions assez amusantes de la part des locaux qui n’ont pas hésité à montrer leur créativité pour manifester leur agacement. Rébellion des autocollants, grève de la faim, batailles d’eau, stickers. Fini l’ennui, d’autant qu’après quelques années de Covid et de soustourisme, les Barcelonais avaient repris leurs habitudes et réintégré leurs places séculaires, s’étant sacrément déshabitué de ces hordes tapageuses qui avaient déjà fait parler d’elles à la fin des années 2010.
Evidemment, à chaque destination sa recette, d’autant que certaines villes ont pris de l’avance et peuvent servir de laboratoire d’expérimentation voire d’inspirations. Ainsi, Venise et Dubrovnik préfèrent aux avions les gros bateaux de croisières qui ont l’avantage de concentrer des milliers de Touristes dans leur ventre qu’ils peuvent ensuite déverser in situ pour des temps très courts, de quoi bien déstabiliser les cœurs de ville et leurs calendriers puisqu’en hiver, « l’homo-touristicus » se fait soudainement plus rares, comme s’il hibernait avec les marmottes, pour mieux ressortir à la belle saison. Or le secret bien gardé d’un surtourisme qui perdure est bel et bien là : concentration dans le temps et dans l’espace font mieux que force ni que rage.
Des exemples concrets pour mieux gérer le surtourisme
En outre, pas d’inquiétude si vous craignez de ne pas intéresser les foules, l’esprit moutonnier du Toutou sera là pour vous aider. Quand il n’est pas en train d’aller vérifier que les falaises d’Etretat n’ont pas été déplacées ou le Mont-Saint-Michel submergé, il cherche sur les réseaux les sites où se mettre en scène au point que pour achever de lui tendre la perche, rien de mieux qu’une campagne de communication bien orchestrée (chaque année, Barcelone dépense des millions d’euros pour sa communication touristique), un savant démarketing à effets rebonds garantis (Ha ces calanques de Marseille qu’il ne faut plus aller voir…) voire une candidature pour être retenu sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, appel d’air assuré ! Evidemment, des moyens plus radicaux sont aussi imaginables si vous souhaitez définitivement ancrer votre territoire en Tourismocratie : multiplication des routes et des voitures, saturation des espaces, piétinement allègre des plages, bétonnisation des sites naturels, à chaque lieu son mode d’emploi. Aujourd’hui encore, 95% des voyageurs voyagent sur 5% du territoire… Devenez le nouvel élu !
Enfin, une fois vos touristes bien en place, vos habitants devenus des touristophobes en puissance, il sera temps de sortir vos solutions du chapeau afin d’apparaitre comme le pacificateur, le solutionneur, l’homme providentiel qui a vaincu l’Ennemi. A noter toutefois que le reflux sera long et qu’il n’y a pas tant Une solution miracle mais un panel de mesures à prendre qui nécessiteront du temps, de la patience et de la fermeté car le touriste quand il se multiplie, véritable espèce invasive, entraine avec lui tout un système bien huilé, qui n’a rien à envier au sparadrap du capitaine Hadock.
Stratégies pour un tourisme mieux intégré
Heureusement…, vous n’êtes pas seul. En France, on n’a pas de pétrole mais on a des touristes et aussi… les Grands Sites de France ! Soit 53 Grands Sites, 540 communes, 1,2 millions d’habitants, 40 millions de visiteurs à l’année. Autant de territoires rompus à l’exercice difficile d’équilibriste où le projet de gestion à long terme intègre le tourisme pour préserver l’environnement, le vivre ensemble et la bonne humeur des habitants et de l’économie locale. Meilleur allié des élus qui sont pris en tenaille entre leur envie d’accueillir toujours plus de visiteurs sans toutefois vouloir noyer leurs habitants dans un immense Disneyland à ciel ouvert, ces derniers ont eu le bon gout de publier l’anti-manuel du surtourisme intégré, aussi nommé le guide « Gestion durable de la fréquentation dans les Grands Sites de France – Méthode et pratiques ».
Et là, vous commencez à avoir des horizons de solutions pour faire le grand écart entre les touristophobes que vous avez su créer et les habitants que vous souhaitez retrouver. L’idée de base, toute simple, éviter que le tourisme devienne l’unique et seule activité, mais aussi, intégrer vos administrés aux solutions car pour contrer la tourisTophobie, il faut aussi contrer le tourisMophobie, soit le système, l’Industrie du tourisme avec un grand T. Et il va vous en falloir de l’imagination et des mesures car en ouvrant les vannes, vous avez aussi créé quelques monstres. Quelques concepts en vogue et en vrac : stratégie territoriale, gouvernance éclairée, observation de la fréquentation, seuil d’acceptabilité du tourisme, régulation et diffusion des flux, aménagement du territoire, maîtrise du foncier, gestion de la circulation et des stationnements, développement des mobilités douces, transformation de l’offre touristique, sensibilisation, éducation, outils de médiation, désaisonnalisation, augmentation des durées de séjour.
Autant d’équilibres et de mots clés avec lesquels bien des maires jonglent depuis qu’ils ont suivi à la lettre le « Manuel du surtourisme intégré à destination des maires qui s’ennuient… ». A Barcelone, le succès du « Tout Tourisme » a été tel que la vague de reflux demande tout autant de mesures drastiques : arrêtés contre Airbnb, régulation des meublés, reprise en main du parc locatif pour éviter l’effet Majorque (99 propriétaires possèdent 50% du parc locatif de l’ile) et juguler une montée de prix de 68% en dix ans, identification des points de focalisation de jour et de nuit pour mieux répartir et disperser les flux, élargissement des trottoirs, etc. Des mesures encore et encore même si le contretourisme avec un grand C demande d’aller encore plus loin comme le précise Daniel Pardo qui dirige une association de résistance locale au tourisme, et qui milite pour une déspécialisation de l’économie espagnol et la réduction du poids du secteur touristique.
Un constat partagé par tous ceux qui réfléchissent à un tourisme mieux intégré où le touristophobe redevient un acteur à part entière de la solution et le touriste un être aussi sympathique que vous et moi car on est toujours le touriste d’un autre… Finalement, lorsque l’on aura ENFIN compris que le tourisme est par essence transversale et touche à tout (en vrac : urbanisme, logement, culture, géographie, sport, langue, climat, biodiversité, éducation…), on aura aussi touché du doigt que les solutions sont toutes aussi transversales et touches à tout, incluant la garantie du services publique aux habitants (l’été, l’accès à l’eau potable est un vrai stress pour les Barcelonais qui savent que le Touriste est gourmand en eau), le courage politique, et la capacité à communiquer différemment. Et puis, comme le serpent se mord souvent la queue dans ce monde complexe et ambivalent, quoi de mieux qu’un peu de promotion « durable », « green » ou « équitable » pour redorer le blason de sa commune, c’est tendance, ça plait aux élus et aux touristes, et ça permet d’attirer les foules, mais comme à présent on a des solutions (et même des labels !)….
Je vous renote la recette ?