Le tourisme est indiscutablement l’un des principaux piliers de l’économie insulaire. Tel les deux visages du dieu de la mythologie romaine Janus, il est vital pour la Corse mais ses e!ets induits pourraient se révéler mortifères.
Le produit intérieur brut (PIB) de la Corse, qui représente la totalité de la richesse produite sur l’île, atteint 10 milliards d’euros selon une étude de 2021 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Le tourisme, secteur clé, y contribue à hauteur de 39 %. L’île accueille chaque année 3,5 millions de visiteurs, un chi!re impressionnant comparé à sa population de 360 000 habitants, avec un pic de 40 % durant les deux mois d’été. Cette a”uence se traduit par des recettes de 3,4 milliards d’euros et la création de 26 500 emplois, dont 12 000 saisonniers selon l’agence de tourisme de la Corse (ATC), mais elle génère également des e!ets négatifs qu’il faut prendre en compte dans le raisonnement économique, social et environnemental pour élaborer des politiques publiques e#caces.
Un poids lourd de l’économie corse
Le tourisme stimule fortement l’économie locale, les secteurs les plus bénéficiaires étant les transports aériens et maritimes, l’hôtellerie, la restauration, le secteur aliments et boissons et les locations de voitures. Les locations meublées de tourisme, qui représentent 28 % de l’hébergement commercial en 2021, connaissent depuis une forte hausse. Les dépenses touristiques bénéficient tant aux grandes entreprises qu’aux petits commerces et financent l’amélioration d’infrastructures publiques essentielles comme les ports et les aéroports, tout en développant l’emploi, la dynamique des entreprises et les recettes fiscales de la Collectivité de Corse. Cependant, il est impératif de ne plus limiter l’évaluation à ces bénéfices économiques mais aussi de prendre en compte, au moins, les externalités négatives du tourisme, c’est-àdire les impacts non compensés de l’activité touristique sur la Corse et ses habitants.
Une pression délétère non amortie
Les répercussions négatives sont particulièrement sensibles sur les ressources naturelles durant la haute saison. L’impact du tourisme sur les plages, les parcs naturels, les sites montagneux, l’eau et l’air est important et entraîne pollution, érosion et autres dommages environnementaux. Ces dégradations menacent la pérennité des ressources et l’équilibre écologique. Le capital environnemental de la Corse est ainsi dégradé et l’application de mesures de type pollueur-payeur permettrait de limiter quelque peu ces impacts.
Les infrastructures souffrent également du tourisme, malgré les avantages économiques évidents. La saturation des routes et des services publics en été réduit la qualité de vie des résidents et accélère la détérioration des équipements publics. La Collectivité de Corse doit en assurer l’entretien alors que 3,5 millions de personnes supplémentaires empruntent les routes de l’île, utilisent ses centrales électriques, génèrent des déchets qu’il faut gérer et enfouir… un flux touristique que les équipements et services de la Corse ne peuvent pas absorber tel quel, générant des coûts non compensés et de manière plus générale un coût sociétal croissant.
L’utilisation accrue des centrales au fioul lourd en été, nécessaire pour répondre à la demande énergétique, ainsi que les émissions polluantes des véhicules, des navires et des méga bateaux de croisière contribuent à l’augmentation des particules fines, reconnues cancérigènes. En termes de santé publique, quel est donc le prix réel payé par les Corses et par la sécurité sociale ?
L’afflux de touristes a par ailleurs un effet inflationniste notable, visible dans le marché immobilier. La forte proportion de résidences secondaires – un logement sur trois – et leur commercialisation sur des plateformes de location saisonnière font monter les prix de l’immobilier et des loyers, rendant l’accès à la propriété et à la location plus di#cile pour les Corses. Dans les commerces, l’inflation des prix en saison renforce encore la cherté de la vie, plus élevée que sur le continent pour des salaires en moyenne bien plus faibles.
Cette affluence se traduit par des recettes de 3,4 milliards d’euros et la création de 26 500 emplois, dont 12 000 saisonniers selon l’agence de tourisme de la Corse (ATC), mais elle génère également des effets négatifs qu’il faut prendre en compte
Agir pour ne pas subir
Le tourisme apporte une contribution économique significative à la Corse, en générant des richesses et des emplois dans une région économiquement défavorisée. Cependant, il est associé à des contrats souvent précaires et pose des défis environnementaux, sociaux et sociétaux désormais incontournables.
Face à ces enjeux, les acteurs économiques ne peuvent agir seuls, il incombe à la puissance publique d’agir. Comme le soulignait Pierre Mendès-France en 1953, «gouverner c’est choisir, si di#ciles que soient les choix». Il paraît donc essentiel que la Collectivité de Corse et ses o#ces structurent le secteur du tourisme insulaire grâce à des mesures de régulations des flux, l’expérimentation de mécanismes pollueur-payeur, des investissements dans le tourisme durable visibles et des politiques publiques structurantes concrètes.
Réduire la dépendance excessive au tourisme, c’est aussi rendre plus important le poids des autres secteurs, notamment en développant le faible tissu économique insulaire. Ces actions requièrent une volonté politique forte et un engagement à long terme.
@Marie Maestracci