Le texte revient demain au Sénat et jeudi à l’Assemblée nationale pour un vote définitif. Il prévoit de réduire les avantages fiscaux dont bénéficient les bailleurs et de donner de nouveaux outils de régulation aux maires. Sur l’île, ces mesures sont regardées avec circonspection par les acteurs concernés.
Quatre heures. C’est le temps qu’il a fallu aux députés et sénateurs, réunis le 28 octobre dernier au sein de la commission mixte paritaire, pour trouver un accord. Et pour accoucher d’une mouture commune de la proposition de loi « visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale ».
À l’issue des échanges, ce texte de compromis – plus connu sous le nom de proposition de loi « anti Airbnb » – a été adopté par la commission à une large majorité (12 voix sur 14). Ce qui ouvre a priori la voie à son adoption définitive par le Sénat demain puis par l’Assemblée nationale le jeudi.
D’où vient cette proposition de loi ? Elle a été déposée au printemps 2023 par deux députés issus de territoires soumis à une forte pression immobilière – la Bretonne Annaïg Le Meur (Renaissance) et le Basque Inaki Echaniz (Socialiste) – avec le soutien du groupe Horizons et de son chef de file, le député d’Ajaccio, Laurent Marcangeli. L’objectif du texte est résumé dans son intitulé initial : « Remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue. » Autrement dit, lutter contre l’accaparement du parc immobilier par les meublés de tourisme.
« Un impact marginal sur les prix »
Une problématique qui touche la Corse de plein fouet. En 2022, selon une étude réalisée par l’agence du tourisme de la Corse (ATC), 35 000 logements ont été mis sur le marché locatif saisonnier via des plateformes de type Airbnb sur l’île.
Et les revenus globaux encaissés par les propriétaires ont représenté plus de 470 millions d’euros. Autant dire que les acteurs du secteur, insulaires ou non, sont attentifs à la modification de l’environnement juridique qui se dessine.
La proposition de loi intervient sur plusieurs terrains. En matière fiscale, elle prévoit une réduction de l’abattement forfaitaire dont bénéficient à ce jour les loueurs. Celui-ci est ramené de 50 à 30 % pour les meublés classiques et de 71 à 50 % pour les meublés classés (comportant un certain nombre d’équipements).
« Dans l’immense majorité des communes, il n’y a aujourd’hui aucune réglementation. Seuls 5 % des meublés de tourisme de l’île sont situés sur une commune ayant réglementé »
« Nous espérons que les maires se montreront moins timides »
Cette modification substantielle de la fameuse « niche Airbnb » peut-elle avoir un réel impact sur le marché de l’immobilier insulaire ? Tout le monde n’en est pas convaincu. « Cela n’aura qu’un impact marginal sur les prix de l’immobilier en Corse, prévoit Sébastien Ristori, analyste financier et enseignant à l’Université de Corse. Les propriétaires de meublés de tourisme vont payer un peu plus d’impôts et vont donc voir leurs revenus diminuer. Pour conserver leur niveau de vie, ils vont simplement louer quelques semaines de plus par an. Cela ne changera pas grand-chose. La seule façon de faire baisser la pression immobilière, c’est de s’attaquer à la rareté de l’offre. Un élu qui envisage de geler des terrains devrait en réserver une partie à la création de résidences principales. » Outre ce volet fiscal, le texte entend justement donner aux élus locaux de nouveaux outils pour réguler le marché. En zone tendue, les maires pourront interdire aux propriétaires de louer leur résidence principale plus de 90 jours par an. Ils pourront également établir des quotas de locations saisonnières sur leur commune et prévoir, dans leurs documents d’urbanisme, des zones réservées à l’habitation principale dont seront exclus les meublés de tourisme.
Du côté des hôteliers corses, en guerre depuis des années contre le phénomène Airbnb, on demande à voir. « Il fallait donner de nouveaux outils aux élus, notamment parce que ceux qui existent déjà (procédure d’enregistrement, changement d’usage, compensation…) ont été fragilisés par les recours judiciaires à répétition des plateformes, souligne Jean-Baptiste Pieri, secrétaire général du Cercle des grandes maisons de Corse. Nous espérons simplement que, si cette loi est votée, les élus corses se montreront moins timides qu’ils ne le sont aujourd’hui. Il faut savoir que dans l’immense majorité des communes, il n’y a aucune réglementation. Seuls 5 % des meublés de tourisme de l’île sont situés sur une commune ayant réglementé. »
Mais avant cela, reste à voir ce que députés et sénateurs feront de cette dernière mouture de la proposition de loi « anti Airbnb ». Réponse dans la semaine.
PIERRE NEGREL, pnegrel@corsematin.com