Interview : « Des mesures spécifiques à la Corse vont être dévoilées » @CorseMatin

Franck Robine, préfet de Corse :« Le gouvernement souhaite que la saison touristique soit réussie et ce sont des mesures d’accompagnement et de renforcement qui seront énoncées, aucunement de nouvelles contraintes
PIERRE ANTOINE FOURNIL
FRANCK ROBINE.- Ce dispositif annoncé dans le courant de la semaine va permettre l’ouverture de la saison au 23 juin et fera de la Corse une destination très sûre, promet le préfet de Corse. Pour l’heure, les déplacements aériens entre l’île et le continent demeurent restreints
Le décret du 31 mai 2020, paru au JO lundi – il officialise les mesures de la phase 2 du plan de déconfinement, précisant notamment les règles en matière de trafic aérien – a engendré un véritable tohu-bohu. Car les vols à destination ou en provenance de la Corse restent liés jusqu’au 22 juin à « un motif impérieux d’ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l’urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé ». Ce qui justifie ce régime sec ?
Le décret traduit les décisions annoncées par le Premier ministre sur la nouvelle phase de déconfinement, jusqu’au 22 juin effectivement, qui maintient un certain nombre de restrictions, ce qui était prévu, notamment pour les déplacements. L’idée, c’est de continuer à ouvrir progressivement. Concrètement, pour le maritime, la régulation prend la forme d’un pouvoir donné au préfet de réguler la capacité d’emport. Jusqu’à présent, j’avais limité cette capacité – avec l’accord de l’office des transports (OTC) et des opérateurs – à 30 %, c’est-à-dire que sur un navire qui pouvait embarquer 600 passagers, on en prenait au maximum 200. Désormais, nous allons passer à 60 % dès lors qu’on lâche du lest au fur et à mesure. Sur l’aérien, l’idée de régulation est également privilégiée sauf que l’on ne peut pas faire la même chose en raison des règles internationales du droit du transport aérien. Pour faire court, on ne peut pas donner au préfet la possibilité de dire qu’un avion ne prendra que 80 % des flux et, du coup, le motif impérieux a été maintenu pour l’aérien. Encore une fois, nous sommes dans une notion de gradation dans le temps. Le 23 juin, on ouvrira complètement la saison.
L’arrivée des low cost qui avaient établi un plan de vol étoffé sur la Corse, comme la compagnie Volotea, ne risque-t-elle pas de s’en trouver perturbée ?
Pas forcément. Volotea, pour reprendre votre exemple, peut commencer le 18 juin comme elle l’avait programmé, mais les passagers qui accéderont à l’avion devront avoir un motif impérieux pour se déplacer, familial, de santé, ou professionnel.
On exclut donc le motif touristique ?
C’est ça. Ce qui est sûr, c’est que le gouvernement a l’intention d’ouvrir pleinement la saison touristique à partir du 23 juin, si la situation sanitaire le permet. Actuellement un touriste voulant prendre le ferry peut le faire, sachant comme je l’ai dit, que les ferries n’auront pas 100 % de leur contenance. Cela permet néanmoins aux affinitaires – les semi-résidents, propriétaires de résidences secondaires, ceux qui viennent passer quatre ou cinq mois par an dans l’île, les Corses de la diaspora – de venir.
Ce décret a quand même eu son effet, votre portable a sonné dès potron-minet. D’aucuns sont restés abasourdis, d’autant qu’Édouard Philippe n’avait pas évoqué la Corse dans son propos la semaine dernière…
Édouard Philippe a parlé dans son intervention des territoires insulaires et, depuis la semaine dernière, avec mes interlocuteurs – j’ai échangé avec l’OTC
– nous avons bien spécifié que nous allions nous acheminer progressivement vers l’étape du 23 juin. À cet égard, c’est une annonce que je souhaite faire, le gouvernement dévoilera cette semaine les mesures sanitaires qui permettront, justement, l’ouverture à compter du 23 juin. Le dispositif gouvernemental permettra un accès à la Corse en toute sécurité pour que la saison soit pleine et entière.
« Nous sommes dans une notion de gradation dans le temps. Le 23 juin, on ouvrira complètement la saison ».
Les collèges et lycées resteront fermés jusqu’en septembre, avait tranché la Collectivité de Corse le 7 mai. Vendredi, conjointement avec la rectrice de l’académie, vous avez demandé au tribunal administratif de revoir la copie de la CdC en déférant celle-ci devant le TA estimant qu’elle « méconnaît les compétences ». Qu’attendez-vous de la justice ?
Qu’elle dise le droit. Je pense qu’elle constatera qu’il y a une erreur de droit en termes de compétences. Sur un sujet aussi fondamental, c’est l’État, l’Éducation nationale, qui a la compétence. Mais j’attends surtout, avec la Collectivité de Corse, que l’on puisse travailler main dans la main pour rouvrir le plus vite possible. Cela suppose de sortir de l’approche générale qui a été mise en avant et de regarder collège par collège, lycée par lycée, de quelle façon on peut aller vers cette réouverture.
On peine à imaginer les parents renvoyer leurs enfants pour trois semaines de classe, votre décision tardive n’est-elle pas finalement davantage symbolique ?
Ma décision a été prise temporellement en fonction de la date de réouverture. Il était difficile de le faire avant. Il fallait attendre et constater que les collèges restaient clos, la date avait été fixée au 18 mai. Et en ce qui concerne les lycées, ces derniers ne font leur rentrée que demain (aujourd’hui, ndlr). J’ai eu des échanges avec le président du Conseil exécutif sur le sujet, je lui ai écrit une semaine après, le lundi 25 mai.
Il y a donc une demande des parents et familles ?
Des parents le souhaitent, assurément. Ceci étant, je n’attends pas tout de la justice, je pense que la Collectivité peut, avec nous, faire en sorte que l’on se concerte établissement par établissement et que l’on procède un peu sur le modèle de ce qui s’est passé avec les maires pour les écoles. Les élus communaux étaient, au départ, plutôt réticents, nous leur avons proposé d’examiner la situation ensemble et l’on voit que petit à petit, la situation se débloque.
Si le tribunal administratif vous donne raison ?
Encore une fois, j’ai saisi la justice, mais ce que j’espère et ce sur quoi je compte, c’est une collaboration avec la Collectivité de Corse.
Vous pouvez donc prendre la décision de faire rentrer les enfants…
Nous sommes dans un État de droit, je n’imagine pas que l’on ne respecte pas le droit. Mais, j’insiste, ce qui m’importe, c’est d’arriver à réfléchir en bonne intelligence. Si on le veut, on peut rouvrir et dans les conditions sanitaires requises. Il n’empêche, là où la Collectivité nous dira à juste titre que dans tel ou tel établissement il est impossible de mettre en place les gestes barrières, il n’est pas question de forcer la réouverture.
Le gouvernement vous y a incité ?
Le préfet de Corse étant le représentant du gouvernement, tout ce qu’il fait est, quoi qu’il en soit, conduit au nom du gouverne-
ment.
Côté écoles, vous en parliez, avez-vous réussi, comme vous le souhaitiez, à convaincre des maires de décadenasser les grilles ?
Plusieurs maires, dont celui d’Ajaccio, ont annoncé la réouverture. Pour Ajaccio, Laurent Marcangeli a pris publiquement position, en ayant la courtoisie de m’appeler avant. Il a indiqué que certaines écoles – d’autres nécessitant des aménagements –
seraient à nouveau accessibles le juin. Ce sera la même démarche en Haute-Corse.
Cafés et restaurants reprennent du service aujourd’hui, certains socioprofessionnels le font avec enthousiasme, d’autres avec désarroi au regard des protocoles draconiens. L’État compte-t-il – si oui, comment – être un facilitateur pour cette reprise cruciale en termes économiques ?
L’État va être présent, certainement. J’ai, à cette occasion, pris les devants puisque la Direccte a deux chantiers pilotes, pour le secteur hôtelier et pour la restauration. Je me rendrai demain (aujourd’hui, ndlr) dans un café et un restaurant pour donner officiellement le feu vert. Je vais me faire expliquer comment ça marche, demander quelles sont les difficultés, mais l’objectif consiste, avant tout, à montrer que la vie reprend. Comme sur les chantiers du BTP, la médecine du travail et l’inspection du travail vont accompagner.
L’État a déjà consenti un effort considérable pour soutenir les entreprises dans l’île comme ailleurs. Mais si la crise devait se durcir, la Corse ne risquerait-elle pas d’être le parent pauvre de la solidarité nationale ?
Vous l’avez dit, l’effort est considérable. Un milliard a été alloué à la Corse qui se décompose notamment en 500 M€ de prêts garantis (PGE), 250 M€ de chômage partiel sachant que nous avons eu jusqu’à 65 % des salariés corses en chômage partiel. Certes, la mesure vient d’être revue à la baisse sauf pour le secteur touristique qui y aura droit jusqu’à la fin de l’année. On peut rappeler d’autres aides, notamment l’étalement des charges fiscales et sociales. Eston capable de faire en sorte que les petites entreprises corses bénéficient avec certitude de ce dispositif ? Franchement, je crois qu’avec la CdC, les socioprofessionnels, et la cellule de suivi qui a été instaurée, nous avons veillé à ce que les plus petits soient bien informés et qu’ils viennent solliciter les dispositifs. J’ai personnellement été très vigilant, via des contacts directs, sans oublier un partenariat fructueux avec l’Adec et la CdC. Le gouvernement a décidé de maintenir des mesures exceptionnelles pour le tourisme, l’événementiel, le milieu sportif, et la Corse pour laquelle le tourisme est particulièrement vital en bénéficiera évidemment. Je pense sincèrement qu’il y a une vraie attention du gouvernement pour la Corse.
Quid du green pass, définitivement enterré, remisé ?
Cette attention particulière portée à la Corse et aux territoires insulaires, je le répète, va induire un package spécifique dans lequel on va trouver des mesures propres, sanitaires, sur les tests, le renforcement de la présence médicale, etc. Dedans, il y a également des mesures aériennes, pour le maritime, et des protocoles en direction de diverses professions, des protocoles sur lesquels nous travaillons, par exemple avec l’ATC, dans l’hôtellerie, la restauration. Il ne s’agira pas de nouvelles restrictions, davantage d’un appui supplémentaire. Et lorsque je parle de mesures, je ne fais pas référence à des mesures restrictives. Le gouvernement souhaite que la saison touristique soit réussie et ce sont, donc, des mesures d’accompagnement et de renforcement qui seront énoncées, aucunement des contraintes supplémentaires. Ce package fera de la Corse une destination très sûre.
Les critères qui ont été retenus pour retoquer la proposition de Gilles Simeoni ?
Je ne vais pas répondre à la place du gouvernement, mais je crois qu’en la matière ce qui importe, c’est d’avoir une forme de consensus.
PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-C. CHABANON

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