Président et ancien directeur d’Atout France, Christian Mantei est l’un des spécialistes français du tourisme. Ce Cortenais d’origine, proche collaborateur de Jean-Baptiste Lemoyne, parle bilan et perspectives dans ce secteur économique fortement impacté par la crise sanitaire
Un Corse aux commandes de l’agence du développement touristique de la France. Après avoir dirigé Atout France pendant 12 ans, Christian Mantei, 67 ans, préside depuis 36 mois son conseil d’administration. À titre « non exécutif et bénévole », tient-il à préciser. Ce Cortenais d’origine, proche collaborateur du secrétaire d’Etat en charge du Tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne a de multiples casquettes dans le domaine du tourisme. Il est aussi et surtout un fin connaisseur de la destination Corse.
Pour Corse-Matin, le « Monsieur tourisme de la France » a accepté de revenir sur la saison touristique 2020 et un bilan qui semble meilleur que prévu.
La saison touristique 2020 s’achève. Quel bilan en tirer ?
Au niveau mondial et européen, le tourisme a perdu environ 70 % des arrivées internationales. Autrement dit, seuls 30 % des touristes étrangers sont venus. La situation en France est moins mauvaise que celle de nos voisins espagnols, italiens et grecs. Nous avons enregistré, au cœur de l’été, des taux d’occupation en hébergements marchands d’environ 50 %. Nos voisins et concurrents, eux, étaient plutôt autour des 30 %. Cette situation moins mauvaise que prévu s’explique d’abord par le soutien apporté par l’État aux entreprises ; soutien que n’ont pas forcément eu les entreprises des pays voisins. L’autre explication tient de la réactivité de notre marché domestique. Les Français ont visité les territoires, et quelques touristes européens sont tout de même venus. Globalement, cet été aura été moins mauvais que nous le redoutions. Toutefois, ce ne sont pas les taux d’occupation ou les indicateurs de fréquentation qui doivent être pris en compte, mais plutôt le bilan des entreprises au 31 décembre. Le tourisme, c’est parfois une saison estivale, mais c’est aussi une activité économique à l’année, dans nos grandes villes par exemple, avec des événements et du tourisme d’affaires. C’est aussi la montagne, avec une saison d’hiver, et la culture aussi. En Corse, la saison d’été n’a commencé qu’en juillet, avec une baisse significative par rapport aux autres années. Août a été meilleur que ce que l’on pensait, mais pas suffisamment pour rattraper les chiffres d’une bonne année comme 2018.
« On ne peut pas se passer de consommateurs importés, que l’on appelle touristes »
Entre l’instauration abandonnée d’un passeport sanitaire, puis une forte pénurie de voitures de location, quelle image a véhiculé la Corse à l’extérieur ?
La polémique autour du Green pass me paraît aujourd’hui très lointaine. Je pense que Gilles Simeoni n’a eu qu’un seul tort, en faisant cette proposition, c’est d’être très en avance sur les autres. Aujourd’hui, le test est demandé de partout. Les destinations d’Outre-Mer demandent le test, comme beaucoup de destinations mondiales, insulaires ou non. Tout le monde veut être testé, et c’est ce que je souhaite également. Mais il faudrait pouvoir faire ces tests plus rapidement, avec des résultats rapides aussi. Partout, les responsables du tourisme ont compris que ces tests permettent de rassurer et de créer de la confiance. Les voyageurs y sont prêts, mais le système n’est pas encore assez rapide. Gilles Simeoni a été le premier à le dire, aujourd’hui cette même annonce paraîtrait banale. En ce qui concerne la location de voitures, cela nous renvoie à une question de méthode. Pour être efficaces en matière de tourisme, il faut synchroniser l’ensemble des pans de l’activité : l’aérien, la location de véhicules, l’hébergement, l’offre de loisirs etc. En Corse, certains se sont dit qu’il n’y aurait personne. Cela n’a heureusement pas été le cas. Au milieu de cette bonne surprise, il y a eu cette petite déception de ne pas avoir suffisamment de voitures. C’est une erreur de calibrage.
Le tourisme transfrontalier a été freiné par la Covid. A-t-on bénéficié de davantage de tourisme domestique ?
Un peu partout en France, dans les régions et les territoires, la proportion de touristes français est supérieure à ce qu’elle était auparavant. Il y a aussi deux phénomènes significatifs qu’il faut retenir : le panier moyen est assez élevé, et le taux de réservations directes a augmenté. Cela permet aux hébergeurs de fidéliser davantage de clients. Pour les Français, c’est plus facile que pour les étrangers. De plus, il y a eu pas mal de communication et de promotion, notamment de la part des médias. Une certaine proximité s’est établie entre le touriste et l’hébergeur ; elle s’explique par un besoin d’information et de confiance sanitaire. Les gens avaient besoin de contacts et de précisions.
Le passage de la Corse en zone rouge Covid, le 5 septembre, aurait condamné les perspectives de fin de saison. Qu’en est-il, selon vous ?
Cela est vrai aussi pour d’autres régions françaises. Ce passage en rouge a provoqué énormément d’annulations. Or le mois de septembre est très important, il pèse depuis plusieurs années presque autant que le mois de juillet. La haute saison d’été débute tard, mais se prolonge jusqu’à fin septembre. On aurait dû faire un beau mois, c’est dommage. Mon sentiment est que, à partir du moment où l’on vit sous Covid, on peut se déplacer sous Covid. Paris est en rouge, la Corse aussi, où est le problème à passer de l’une à l’autre ? Le président de la République l’a dit, il faut « continuer à vivre ». Ces derniers jours, les restaurateurs ont bien fait de faire des propositions pour rester ouverts. On se protège, on protège les autres et on continue à vivre. Pour l’avenir, dès aujourd’hui, je suis partisan d’établir des scénarios pour 2021 en fonction de l’apparition ou pas d’un vaccin et de tests rapides. En l’état actuel, nous n’avons aucune visibilité. Or, il va falloir se fixer des caps.
Le président de la République Emmanuel Macron, lors de sa venue en Corse à la mi-septembre, annonçait des aides pour le tourisme au cas par cas. Comment vont-elles se traduire ? Le tourisme est-il inclus dans le plan de relance du gouvernement ?
Le secrétaire d’État Jean-Baptiste Lemoyne a obtenu que la Corse soit considérée de façon particulière lors du comité interministériel en juin dernier. Sont à l’étude actuellement, et vont être annoncées dans les prochains jours, des mesures nationales de soutien aux entreprises. Évidemment, elles seront déclinées spécifiquement en Corse. Je me félicite au passage du réchauffement des relations entre Emmanuel Macron et Gilles Simeoni. C’est fondamental car nous pourrons ainsi continuer à coconstruire. La situation actuelle commande de mettre l’intérêt général au-dessus de l’intérêt partisan. Il faut travailler étroitement avec l’ensemble des acteurs du secteur. Si les entreprises sont en difficulté, notre offre touristique va se dégrader. Cet été, les mesures d’aides de l’État ont permis à la France de gagner des parts de marché sur ses concurrents. Le tourisme est une économie de l’offre. Si l’offre résiste, on aura des résultats car la demande est résiliente.
Quel avenir pour le tourisme ? Quelle(s) orientation(s) prendre ?
Cette crise a été un révélateur de l’importance et du poids du tourisme dans nos économies. Elle est une invitation à se transformer, car la demande des visiteurs a évolué. Globalement, il y a une envie de rester plus longtemps sur place, ce qui induit davantage de dépenses. Cette crise est l’opportunité de mettre le tourisme sur de nouvelles bases plus qualitatives en termes de gestion des flux, d’aménagement de l’espace public. J’en profite pour dire que les municipalités aussi ont ce rôle à jouer. Les visiteurs sont très attentifs à notre façon de gérer notre patrimoine. La culture est le moteur principal du déplacement. Il nous faut créer de l’attractivité, en convoquant l’histoire par exemple.
Un tiers de la richesse produite en Corse provient du tourisme. N’est-ce pas risqué de dépendre à ce point de la fréquentation touristique ?
J’attendais cette question et j’ai une proposition stratégique : face à l’hyper dépendance au tourisme, il faut faire de la Corse une destination résiliente. La population corse n’est pas assez importante pour avoir son propre marché, et on ne peut donc se passer de consommateurs importés, que l’on appelle touristes. Dans cette économie des mobilités, il faut créer des occasions nombreuses de venir en Corse, toute l’année, d’y passer le plus de temps possible, en y étant bien. En améliorant notre accueil, on va aussi améliorer notre cadre de vie. Sous Covid, être une destination résiliente est possible. Dans un contexte de forte baisse du trafic aérien mondial, la Corse a une belle carte à jouer. Il faut aller la négocier dès maintenant, auprès des compagnies aériennes, et dire qu’on sera là en 2021. Elles seront forcément bien plus intéressées maintenant qu’auparavant. La Corse doit ambitionner de devenir la destination résiliente de référence.
ROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-FRANÇOIS PACELLI