La Corse étouffe sous la pollution des navires de croisières, toujours plus nombreux chaque année. Les régulations promises par les autorités peinent à être appliquées.
Marseille, correspondance
En Corse, la croisière s’amuse sans contraintes mais les habitants et l’environnement trinquent. Le nombre de croisiéristes qui se déverse par milliers dans les ports de l’île ne cesse de s’accroître depuis la fin des confinements.
Et avec eux, les particules fines des épaisses fumées des bateaux sont dénoncées par les écologistes comme sources de maladies respiratoires, cardiovasculaires et de cancers qui se répandent sur les villes littorales.
Depuis le début de l’année, la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Corse a comptabilisé 27 000 croisiéristes supplémentaires par rapport à la même période de 2022 (de janvier à mai). Soit un total de 96 000 touristes.
La plupart des escales se font à Ajaccio : 25 000 croisiéristes y ont débarqué en 2021, puis 390 000 en 2022, soit 1 464 % d’augmentation (plus 820 % sur l’ensemble de la Corse). Pour comparaison, la sous-préfecture de Corse-du-Sud compte un peu moins de 70 000 habitants, sur les 350 000 qui vivent sur l’île.
« Pourquoi l’argent de quelque-uns prime sur la santé de tous ? »
Cette industrie rapporte : chaque croisiériste qui débarque à la journée dépense en moyenne 50 euros sur place, estime une étude de la CCI de 2017. « Pourquoi l’argent de quelque-uns prime sur la santé de tous ? » Voici le slogan exhibé mardi 13 juin devant le Mein Schiff 2 (2 900 passagers) sur l’une des pancartes de la manifestation du collectif Stop Croisières Ajaccio.
« En deux jours, 6 600 passagers à Ajaccio, 15 400 litres du fuel lourd consommé à quai » ; « On nous impose des bateaux de croisière de plus en plus gros et de plus en plus nombreux », pouvait-on encore lire.
Dans le port d’Ajaccio plusieurs paquebots et ferrys peuvent s’amarrer en même temps à proximité de la vieille ville, bouchant ainsi l’horizon sur le golfe et les montagnes qui le surplombe. 200 escales de bateaux de croisières ont déjà eu lieu depuis le 1ᵉʳ janvier.
« La ville est extrêmement polluée par les navires, mais aussi par la circulation automobile, faute de transports collectifs adaptés, et par la centrale électrique au fioul. Tout ça dans un tout petit espace sous des montagnes, explique à Reporterre Mireille Villion, du collectif Stop Croisières Ajaccio. On aimerait que la spécificité d’Ajaccio soit prise en compte par les pouvoirs publics pour agir contre la pollution ».
Des navires déjà condamnés pour pollution
Le collectif Stop Croisières Ajaccio rappelle que les paquebots qui se sont amarrés en début de cette semaine à Ajaccio ont déjà enfreint la réglementation. Le capitaine de l’Azura (3 000 passagers) de la compagnie Carnival a été condamné à 100 000 euros d’amende fin 2018 à Marseille pour avoir utilisé du carburant dépassant la norme de teneur en soufre.
« Les émissions soufrées causent, d’après les dernières études, environ 50 000 morts prématurées chaque année rien qu’en Europe. Du côté de l’environnement, ces émissions participent à l’appauvrissement et à l’acidification des milieux naturels », avait alors affirmé France Nature Environnement qui s’était portée partie civile.
Une condamnation pour des faits similaires, à 60 000 euros d’amende, a été prononcée à l’encontre de Tui Cruises en mai 2022. Quant à l’Aegean Odyssey (350 passagers), il a été expulsé par les autorités du port de Nice il y a un an à cause d’importantes pollutions atmosphériques et sonores.
Du côté de la collectivité de Corse, on promet de fixer un modèle insulaire qui ne sélectionnerait que les compagnies désignées comme vertueuses. « Il faut, sans attendre, proscrire les gros bateaux polluants représentant un tourisme prédateur », avait déclaré Gilles Simeoni, le président du conseil exécutif de Corse à l’automne 2022. Mais, huit mois plus tard, aucune mesure contraignante n’a encore été prise.
Contacté par Reporterre, le cabinet de Gilles Simeoni nous a répondu qu’un cycle de travail était en cours : « Nous avons consulté les associations environnementales et collectifs en avril. Une réunion avec les représentants des commerçants et des acteurs du tourisme était prévue fin mai. Elle a été reportée à cause des discussions sur l’autonomie avec Gérald Darmanin. On veut arriver à une régulation, mais il y a une grosse difficulté d’acceptabilité d’un côté ou de l’autre, quelle que soit la décision que l’on va prendre. »
« S’il n’y a pas de contrôle de la pollution, c’est un coup d’épée dans l’eau »
En mars dernier, Gilles Simeoni promettait l’adoption d’une charte de bonnes pratiques des croisières qui aurait une « valeur contraignante qui permettrait de réguler et d’imposer » ses propres règles. Un engagement sans ambition estiment les associations écologistes.
« Une charte n’est pas opposable devant un tribunal. Et les moyens de contrôle, on n’en parle pas. S’il n’y a pas de contrôle de la pollution, ça ne sert à rien, c’est un coup d’épée dans l’eau », juge Dominique Renucci, trésorière de l’association Le Garde.
Les associations écologistes réclament l’usage de drones renifleurs de pollution dans les ports corses, sur le modèle des contrôles réalisés dans le ciel du port de Marseille par les services de l’État. En attendant, la coordination d’associations écologistes Terra, dont fait partie Le Garde, va se doter de son propre appareil de mesure des particules fines.
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