Tourisme : La polémique sur l’absence de promotion de la Corse en été rebondit, l’Exécutif contrattaque

@CorseNetInfo

Lors de la présentation du rapport sur la gestion de la fréquentation estivale des sites naturels à l’Assemblée de Corse, le débat a débordé sur la polémique concernant le plan de communication et de promotion de la Corse présenté par l’Agence du Tourisme (ATC). La droite doute de la stratégie et accuse l’ATC de déshabiller la haute-saison. Le PNC prône un changement de modèle. L’Exécutif monte au créneau pour défendre la nécessité d’étaler la saison et de déconcentrer les flux et tacle les contradictions de la société insulaire.

Ce n’était pas le sujet du jour vendredi à l’Assemblée de Corse, mais tourisme et quotas de fréquentation estivale sur les sites naturels emblématiques étant indubitablement liés, l’occasion était trop belle pour l’opposition de rebondir sur la polémique qui oppose, depuis plus d’un mois, les professionnels du secteur et l’Agence du tourisme de la Corse (ATC). L’objet du litige : la nouvelle politique de communication et de promotion de l’île présentée par la présidente de l’ATC, Angèle Bastiani, enclenchée la saison dernière et renforcée cette saison. En ligne de mire, la déconcentration touristique : « Nous avons totalement arrêté de faire la promotion de la Corse pour les mois de juillet et d’août et redéployé ces moyens sur les mois d’automne, d’hiver et de printemps » avait-elle annoncé dans nos colonnes. L’objectif : déconcentrer les flux trop importants sur ces deux mois d’été, et essayer d’étaler le tourisme toute l’année. « Notre responsabilité est de contrôler ces flux et de les aiguiller au maximum vers les périodes et les lieux les moins fréquentés afin d’atténuer au maximum les effets de pic qui peuvent nuire à notre qualité de vie et au caractère durable de l’activité touristique ». Autrement dit : pas de communication sur les sites remarquables sur-fréquentés – Bavella, A Restonica, Scandula et les îles Lavezzi – dont l’accès sera, cet été, soumis à des quotas. L’autre axe est de diversifier la clientèle composée à 72% de touristes français : « Nous avons là aussi diminué de manière significative le budget destiné à la promotion de la Corse en France afin de nous concentrer sur les pays étrangers, au premier rang desquels l’Italie et la Belgique ». Ces annonces ont provoqué la colère de l’ensemble des socio-professionnels qui brandissent le spectre d’ « une saison noire, compliquée, au niveau des réservations » et dénoncent « une décision unilatérale, dépourvue de concertation » et « une grave erreur stratégique ».

Jean-Michel Savelli. Photo Michel Luccioni.

Les critiques de la droite 
Dans l’hémicycle, la droite s’empresse de rallumer le feu à l’occasion de la discussion sur la préservation des sites naturels et la régulation des flux qui, elles, ne font pas débat. « Qui dit environnement dit tourisme. Ce qui m’inquiète, c’est la réflexion stratégique qui a mené au plan de communication de l’Agence du tourisme, et qui est directement en lien avec les quotas et la déconcentration qui était le thème de la campagne. Cela a été mal vécu sur la forme par les socioprofessionnels, vous auriez pu faire mieux ! », lance Jean-Michel Savelli, élu du groupe U Soffiu Novu. « Vous pensez activer la déconcentration par un plan de communication. La haute-saison est déjà en moyenne autour de – 13 %, si on rajoute une couche de déconcentration, on va complètement la déshabiller. C’est difficile de rattraper la haute-saison. On sait qu’il faut quatre semaines de moyenne saison pour rattraper une semaine de haute-saison, la clientèle familiale disparait à la fin des vacances. C’est compliqué ! ». Il met en doute l’efficacité de la stratégie de déconcentration : « On met beaucoup de contraintes, mêmes si elles sont justifiées, elles vont nous perdre de l’attractivité. Le tourisme représente 3,5 milliards € de PIB, 1 point de perte de fréquentation, c’est 35 millions € en moins ! Il faut être vigilant. Etaler la saison, c’est compliqué ! On n’y arrive pas ! Il faut une offre commerciale visible sur l’arrière-saison qui, aujourd’hui, n’est pas structurée. Il faut pousser le CDI saisonnier pour que les hôtels restent ouverts toute l’année ». Le point noir, pour lui, reste le transport : « On a un besoin de service public et de flux entrants. Les compagnies délégataires n’ont pas de latitude pour développer le trafic entrant. L’exemple le plus édifiant est Nice où il n’y a pas de low cost entrants : 720 € par tête pour un aller-retour en weekend, 460 € pour un Nice-New York. Pourquoi un prix aussi élevé, voire prohibitif ? C’est pour protéger la capacité pour les résidents ! L’offre des compagnies privées sur les transports diminue à cause du carburant. La Corsica Ferries ne peut plus faire d’aller-retour rapide dans la journée entre Nice-Bastia et Nice-Ajaccio. Les lows costs font de l’écrémage. Cette baisse de réservation sur le mois d’août est essentiellement liée à la baisse de l’offre de transport, des taux de remplissage plus élevés, donc des prix qui augmentent. On est au cœur du réacteur, pourtant je n’entends pas beaucoup parler d’économie de transport dans le cadre du processus Beauvau, je le regrette ».

Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.

Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.

Un changement de modèle 
Le sujet est repris à la volée par Jean-Christophe Angelini. Le président du groupe PNC-Avanzemu et maire de Portivechju, ne pouvant s’en exonérer,  pose les enjeux : « La question est double : elle est relative à la sur-fréquentation et à l’attractivité du territoire qui doit rester un objectif politique. L’idée de décroissance existe dans l’opinion, le tourisme, mal nécessaire, est souvent vécu comme un problème avant d’être une solution. Attention à ces approches très idéologiques selon lesquelles il faut en finir avec le tourisme parce qu’on en a soupé ! Economiquement, c’est dangereux ! ».  Sans nier « les effets pervers » de ce secteur d’activité, il propose de réfléchir « à un tourisme de temps de crise afin de concilier le tourisme avec la rareté de l’eau, le réchauffement climatique… Le problème est le taux de retour. Des gens peuvent venir en Corse dépenser des milliers d’euros par jour sans qu’on les voit. La territorialisation des flux économiques est proche de zéro ». Il revient sur les maux du para-tourisme soulevés par les professionnels : « A Paris, on s’inquiète du fait que ça touche 1 lit sur 10. Dans ma région, en pleine saison, ça touche 7 lits sur 10 et 8 en période de pointe. Pour 180 000 lits professionnels, on compte 600 000 lits informels ». Comme la droite, il pointe la difficulté de la mise en œuvre du CDI saisonnier et les carences de l’offre de transportset la nécessité de faire muter sans délai le modèle économique : « On est encore dans un moment où l’offre marchande est encore maitrisée et où on peut encore transmettre les affaires familialement. Pour faire muter le modèle, l’annualiser et reconnecter l’offre de transports avec des produits touristiques qui correspondent à d’autres saisons de l’année, il faudra un minimum de 20 ans, une génération. Il faut commencer maintenant et bâtir un point d’équilibre. Personne ne gagnerait à la mise sous cloche d’un territoire ».

Nanette Maupertuis. Photo Michel Luccioni.

Un tourisme durable 
Pour la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, pas besoin de chercher un nouveau modèle, il existe déjà, c’est celui du tourisme durable qu’elle a initié et mis en œuvre lors de ses deux mandats à la tête de l’ATC : « Sur la question touristique, on a réussi, depuis sept ans, à faire passer l’idée que la question du tourisme durable était désormais acquise. Il faut opérationnaliser les grands objectifs, ce que nous sommes en train de faire. On est sur une bonne voie ». Elle rappelle un principe de base : « Ce qui fait la destination, c’est l’offre, et l’offre avec une valeur environnementale exceptionnelle. Nous avons une richesse environnementale exceptionnelle que nous souhaitons protéger. L’offre évidemment dépend de nous. C’est nous qui montons cette offre sur la base des valeurs qui sont les nôtres : notre identité, notre culture, notre environnement ». Pour autant, ajoute-t-elle, « On ne doit pas oublier la dimension sociale. Dans le plan de relance, nous avions abordé de manière très claire la question du CDI saisonnier, les travaux sont en cours. Une société basée sur une économie qui est spécialisée en tourisme, comme c’est le cas pour nous aujourd’hui, et qui se détournerait de l’aspect social, va forcément dans le mur ! C’est inévitable ! Les exemples foisonnent ailleurs ». 
 
La schizophrénie insulaire 
Nanette Maupertuis met, ensuite, le doigt là où ça fait mal et tacle l’incohérence insulaire : « Le modèle va buter sur deux obstacles majeurs. Le premier est la question de l’acceptabilité, mais aussi, il faut le dire, de notre schizophrénie parce que les meublés, les Corses en louent aussi. Il faut être lucide là-dessus et clair avec nous-mêmes. On ne peut pas, en même temps, vouloir du tourisme, louer, être critique vis-à-vis des touristes et ne pas les supporter pendant un mois et demi de fréquentation. Il faut que nous réglions nos problèmes ! ». Le deuxième, lance-t-elle aux élus, est le critère temps : « les phénomènes de transition prennent du temps. Nous-mêmes, dans nos têtes, nous avons besoin de faire du chemin. Passer de la feuille de route à l’opérationnalisation, ça prend du temps, j’en sais quelque chose ! Il y a un phénomène d’adaptation, surtout que, dans l’intervalle, on est percuté par des crises. À un moment donné, on se retrouve avec un tourisme et une fréquentation qui sont liées à la crise économique ou la crise Covid ». Pour elle, la solution indiscutable passe par l’autonomie. « Quand bien même on a la volonté, quand bien même on a le modèle, la grille opérationnelle, les objectifs, les moyens, les ingénieurs, les gardes champêtre…, on va buter sur la règlementation. Nous l’avons vu pour les camping-cars, nous allons le revoir pour les quotas et d’autres sujets ». Elle prend l’exemple des Baléares : « L’archétype du développement touristique à outrance, ce fut les Baléares. Aujourd’hui, les Baléares ont réglé leurs problèmes d’ordre psychosocial, elles n’ont pas d’état d’âme avec le tourisme, par contre elles protègent au maximum et elles démolissent, mais elles peuvent le faire, elles sont autonomes ! ». 

Angèle Bastiani. Photo Michel Luccioni.

Angèle Bastiani. Photo Michel Luccioni.

Pas de décroissance ! 
Piquée au vif par les critiques de la droite, la présidente de l’ATC, Angèle Bastiani, saisit, elle aussi, l’occasion d’éclaircir certains points : « La politique touristique de la Corse doit évoluer au regard des défis sociaux, économiques et environnementaux que nous connaissons. Il en va de la protection de notre île et de ses habitants, mais aussi de la pérennité d’un secteur économique primordial qui pourrait bien scier la branche sur lequel il est assis, s’il ne prend pas un tournant important en termes de stratégie ». Et elle assène : « La déconcentration, que nous soyons clairs, n’est pas la décroissance ! Oui, nous avons parlé de déconcentration et nous sommes en train de la concrétiser à travers notamment des nouvelles mesures de promotion. Évidemment, il ne s’agit pas, comme on a pu l’entendre de manière excessive et caricaturale, de refuser le tourisme en juillet et en août, ni de déchirer nos cartes postales. Le constat et les solutions, qui en découlent, sont bien plus complexes que ces raccourcis-là ». Elle s’appuie sur les chiffres : « La fréquentation de l’île en entrées et sorties connait une courbe dont le pic se situe début août avec 475 000 personnes présentes sur le territoire en plus de la population résidente. Il n’y a pas que des touristes, mais aussi les occupants des résidences secondaires et la diaspora, mais la masse touristique nourrit ce pic, il est inutile de le nier ! Cette fréquentation massive, soudaine, n’est pas supportée par nos infrastructures, par nos espaces les plus fragiles et par une partie de la population ». 
 
Une manne à pérenniser 
La conseillère exécutive l’affirme clairement : « Il n’y a pas trop de touristes en Corse, mais ils sont trop nombreux à un instant T et se concentrent sur les mêmes sites. Les mesures de déconcentration ont pour objectif d’adoucir ce pic qui est nourri naturellement ». Et d’interroger : « Est-il nécessaire de renforcer cette tendance naturelle du tourisme ? Est-il dans notre rôle de responsables de dépenser de l’argent public de manière massive pour faire la promotion de la Corse à une période où elle ne souffre pas de déficit de popularité auprès d’un public qui la connaît déjà, et sur des sites naturels qui ne peuvent pas accueillir plus de monde ? Certains pensent que oui, et ils l’ont fait savoir. C’est tout à fait leur droit. Avec l’Exécutif, nous pensons qu’il faut tout faire au contraire pour déconcentrer et pérenniser une activité économique qui rapporte à la Corse 3,5 milliards d’euros par an ». Le manque de concertation ? « Les différentes organisations professionnelles du tourisme sont représentées dans le Conseil d’administration de l’ATC et les commissions. Les orientations prises ensemble pour la déconcentration touristique ont été débattues et validées au sein de ces instances et n’ont jamais fait l’objet de contestations particulières ». Les mauvais pronostics de la saison ? « On ne pourra les juger qu’après l’été, et pas au mois de mai ».  Le CDI tourisme ? « Il est en expérimentation ». Le para-tourisme ? « On ne pourra pas s’exonérer d’une réflexion collective sur la question des meublés avec l’ensemble des maires et des intercommunalités parce que la solution est en grande partie dans les mains des élus locaux. Nous avons travaillé à une évolution législative pour avoir la main directement et territorialement sur la régulation, la fiscalisation et les sanctions. On a souvent reproché au secteur touristique de n’être guidé par aucune stratégie, désormais cette dernière est claire et il est de notre devoir de la conduire et de l’assumer ».

Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.

Une stratégie claire 
Cette stratégie de déconcentration et d’étalement de la saison, le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, la défend en fustigeant, lui aussi, les contradictions de la société insulaire. « On ne peut pas faire une politique de promotion sur les Lavezzi et, en même temps, fixer des quotas. La politique de promotion de l’ATC a vocation à mettre la lumière sur des sites méconnus où il y a peu de monde, à accompagner par une politique d’aides l’émergence de structures touristiques s’inscrivant dans une logique vertueuse, à avoir des emplois de qualité par la formation, le CDI saisonnier… On ne peut pas nous reprocher d’organiser ça et de nous donner les moyens politiques de le faire ! Peut-être doit-on améliorer la communication et le fond, mais la vision est claire ! ». Concernant l’offre de transport, il rétorque : « Ce n’est pas le service public qui pose problème. La question des tarifs d’Air Corsica nous préoccupe au plus haut point, mais la politique tarifaire d’Air Corsica n’est pas la caricature qu’en font certains sur des offres de dernière minute qui sont à l’évidence excessives par rapport à un prix moyen. Ceci dit, le prix moyen d’un opérateur low-cost n’est pas le prix d’appel à 50 ou 100 €. En juillet et août, ces opérateurs montent beaucoup en prix, surtout si on ajoute le prix des bagages… La tendance aujourd’hui, avec les mécanismes que nous avons mis en place, est d’aller vers plus de passagers non-résidents, y compris en période estivale, hors haute saison, notamment sur la plateforme de Nice. Nous devons réfléchir à une politique globale qui soit attractive, raisonnable et concurrentielle ». 
 
Le courage politique 
Gilles Simeoni n’apprécie pas les critiques notamment de l’UMIH qui stigmatise un « manque de courage politique » sur les loués de tourisme : « On plaisante ! Cela fait 4 ans qu’on se bat contre ça ». Il plaide pour une approche différenciée : « Au sein d’Airbnb, il y a des Corses qui louent, qui déclarent cette activité et pour qui c’est un revenu complémentaire. On ne va pas traiter de la même façon cette situation-là et le propriétaire d’une résidence secondaire qui l’a construite avec un abattement d’impôt de 30% et qui la loue au noir pour des prix de 15 000, 20 000 ou 30 000 € la semaine ! Il y a de la même façon des activités complémentaires de location, y compris déclarées, dans le domaine agricole ». Sur le courage politique, il renvoie la problématique : « Que ceux qui nous disent ici qu’il faut que ça s’arrête, qu’ils viennent avec nous dans les discussions techniques que nous aurons avec Paris pour dire que le paracommercialisme tue le tourisme vertueux. Que fait-on pour lutter contre le contournement des dispositifs fiscaux où des gens, qui bénéficient de dispositions fiscales pour construire de la résidence principale, font de la résidence locative ? Que fait-on pour surtaxer les opérations spéculatives ? Que fait-on pour permettre aux communes d’avoir un document d’urbanisme et d’y prévoir des zones où il y aura uniquement de la résidence principale ? Que fait-on pour construire un système avec une réforme foncière agricole ? Comment va-t-on générer des recettes fiscales qui vont nous permet de financer tout cela ? Ce sont les vraies questions que non seulement nous avons posées, mais auxquelles nous apportons des solutions ». Et lance aux professionnels du tourisme : « Ne nous trompons pas de combat ! Sur l’essentiel, nous sommes d’accord. Essayons d’avoir le courage politique d’aller ensemble au bout des problématiques. On a commencé à le faire, avec ce rapport sur la gestion de la fréquentation des sites, il y a des choses améliorer, des choses à généraliser, mais, pour moi, le chemin, qui a été pris, est le bon ». 

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