CHRONIQUE. Sept jours en Corse : ce qui se décrète et ce qui ne se décrète pas @CorseMatin

AFP -THOMAS SAMSON
Une saison touristique réussie, ça ne se décrète pas, en tout cas pas de manière unilatérale ! La leçon pourrait aussi bien valoir pour le Premier ministre, Édouard Philippe, que pour le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni qui, depuis des semaines maintenant, tentent l’un et l’autre, et sans doute même l’un sans l’autre, de trouver le juste équilibre entre enjeux économique et sanitaire pour l’île.
Par un décret tombé du ciel, le chef de gouvernement a ainsi, à la veille de la phase 2 du déconfinement, semé le trouble dans les esprits en restreignant jusqu’au 23 juin et contre toute attente, le transport aérien des passagers vers la Corse aux seuls motifs impérieux. Ce qui était ainsi permis par la mer, une libre circulation même contingentée à la jauge des navires, ne l’était plus par les airs, rendant la décision incompréhensible. Le Premier ministre n’a pas seulement manqué, par ce transport hasardeux, de se brûler les ailes auprès des insulaires, il a consumé un peu plus celles d’une saison déjà compromise au printemps, et qui a du mal à se projeter vers l’été et l’automne.
Un “touch and go” aura suffi pour rectifier la mesure, attaquée par tous les flancs dans l’île, à l’exception notable du cercle des grandes maisons de Corse, que l’on a connu plus véhément et moins complaisant sur la contrainte, et qui a considéré alors que, foutue pour foutue, la première quinzaine de juin l’était déjà pour le tourisme.
L’île n’est plus ainsi placée sous le régime de l’Outre-mer, ce qui sur d’autres chapitres, celui du statut, de l’autonomie, voire de la fiscalité parfois, pourrait lui convenir. Elle se rattache en quelque sorte à la métropole, au droit commun, et la mer qu’il s’agit d’enjamber s’apparente tout simplement aux 100 kilomètres à vol d’oiseau au-delà desquels il était hasardeux de s’aventurer, aux prémices du déconfinement.
Comment apprécier la manœuvre : couac ou bien message politique même subliminal ? Elle a été si promptement exécutée par le gouvernement, 48 heures entre la publication de l’article 10 du texte et son abrogation – le terme de correction serait plus approprié – qu’on optera plutôt pour la seconde appréciation. L’île ne réclame-t-elle pas si souvent une différenciation dans la mise en œuvre des politiques publiques, qu’elle l’aurait obtenue pour le coup ? Et, pour ce qui est des compétences, ne serait-ce point pour la libre circulation des biens et des personnes, Paris qui tient toujours la gouverne ?

Le package du gouvernement pour la Corse

Car ces prérogatives sont bien au cœur des relations tourmentées, et si souvent chaotiques, qu’entretiennent l’État et la Collectivité de Corse, enfin son pouvoir nationaliste ? Du reste, sur le sujet, le préfet ne s’embarrasse plus de périphrases. Il a saisi avec la rectrice, le tribunal administratif à propos de la décision de l’exécutif territorial de maintenir les collèges et les lycées fermés jusqu’en septembre. Et plus largement, il en appelle régulièrement à ce que dit le droit en matière de compétences respectives, n’hésitant plus au besoin à parler d’erreur dans l’interprétation qui en est faite ici.
L’interprétation, elle a pris un tournant politique dès la parution du décret et de son article 10, limitant l’accès au transport aérien. Gilles Simeoni a vu dans ce faux-négatif, la confirmation par le gouvernement que “la situation sanitaire actuelle, pour les trois mois à venir, n’est pas suffisamment stabilisée pour revenir à un principe de liberté totale” entre le continent et la Corse. Et, donc, que la régulation des flux qu’il réclame inlassablement, trouvait là toute sa justification. Et sa raison d’être, lui n’ayant jamais prôné l’interdiction pure et simple de la venue des touristes dans l’île.
La relation entre la Corse et Paris a beau reposer souvent sur ce genre de sophismes, il existe aujourd’hui une forme de consensus sur l’utilité de rechercher les mesures – tout étant en effet dans la mesure – qui feront de la Corse une destination sûre, une destination de confiance comme le claironnent certains. L’abandon du passeport sanitaire voulu par le président de l’Exécutif sous sa forme initiale, contraignante et par bien des aspects dissuasive, y est pour beaucoup. Le préfet de Corse l’avoue lui-même : “Le green pass a sans doute eu le mérite de lancer le débat, mais c’était, reconnaissons-le, davantage un concept que quelque chose d’abouti”.
Qu’en restera-t-il dans le “package” que le gouvernement s’apprête à annoncer pour réussir la saison touristique dans l’île et qu’il propose de co-construire avec les acteurs du terrain ? La semaine fut trop fiévreuse pour prendre vraiment la température.

Mieux vaudrait ainsi prévenir que guérir

On imagine mal cependant les frontières se refermer derrière ceux qui ont déjà accompli le voyage. Car si personne ne s’en remet encore aux avis du conseil scientifique, aux quatre scenarii – c’est-à-dire trois de trop – que cette Mme Irma de la pandémie a présentés pour le pays, l’idée d’un “virus sous contrôle” fait désormais son chemin, aussi sûrement que le touriste.
Ce qui fait dire au président de l’Exécutif que le gouvernement va plutôt s’employer à soigner une éventuelle reprise de l’épidémie liée aux flux estivaux, qu’à la prévenir ou l’anticiper pour la Corse. Il pourrait ainsi compter sur une réelle capacité à tester et à isoler les cas, à remobiliser les moyens de l’hôpital dans l’île, et sur la proximité avec le continent pour agir en cas de coup dur, la distance n’étant plus pour le coup une barrière. 
Si l’on excepte le social, et la crise économique qui pousse déjà la porte, on ne connaît pas d’autre urgence pour la Corse que de placer ce curseur au bon niveau, et de miser aussi sur le faible degré d’insouciance du touriste en vacances.
Cela fait beaucoup d’inconnues pour ériger finalement la Corse en destination sûre sanitairement. Et trop qui ne dépendent pas directement d’elle.
La confiance ne se décrète pas. Elle se construit.

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