Sur les terrasses des restaurants et bars encore vides, l’intervention du Premier ministre était très attendue. PIERRE-ANTOINE FOURNIL |
Le Premier ministre, Édouard Philippe, a, sans surprise, confirmé hier, dans les grandes lignes, et parfois dans le détail, des mesures très attendues par différents secteurs restés jusqu’à présent confinés. En revanche, s’il a évoqué l’Outre-mer, pas un mot sur la Corse
La liberté va redevenir la règle et l’interdiction constituera l’exception, cette phrase prononcée par le chef du gouvernement, ils ont été nombreux à la savourer devant leur poste de télévision. Après un premier palier instauré le 11 mai dernier, c’est donc un autre étage de la fusée qui se détache ouvrant sur davantage de possibilités pour l’ensemble du territoire français. La phase 2 du déconfinement détaillée, hier après-midi, par Édouard Philippe accompagné des ministres de la Santé et de l’Éducation nationale, promet un assouplissement notable des règles jusque-là édictées, avant l’ouverture d’une troisième et dernière étape, le 22 juin prochain.
Le Premier ministre a ainsi annoncé la fin de la limitation des déplacements, la réouverture accélérée des écoles et collèges dans toutes les zones, celle des lycées étant limitée dans les départements en orange, les bars, cafés et restaurants pourront également à nouveau accueillir leurs clients, parcs et jardins vont rouvrir même dans les zones en orange. En corollaire, les gestes barrières doivent continuer à être respectés et les regroupements dans l’espace public resteront limités à dix personnes. Des mesures arrêtées dans la matinée, lors du Conseil de défense.
Décryptage du volet sanitaire avec Paul-André Colombani et Paul Canarelli.
Le député Pè a Corsica de la deuxième circonscription de Corse-du-Sud estime, pour sa part, qu’il n’y a « pas de surprise à l’énoncé des mesures, le plan suit la feuille de route voulue par le Premier ministre » . Demeure, avant tout, une déception, « Édouard Philippe a justifié la fragilité des territoires d’Outremer au regard de leur insularité et en même temps, il n’annonce rien sur la Corse. Nous restons, une fois de plus, sur notre faim, avec, face à nous, un gouvernement qui, de manière récurrente, bute sur la Corse. J’ai déjà eu l’occasion de dire à certains membres de l’équipe gouvernementale que le virus n’était pas un jacobin, il n’a pas touché les territoires uniformément, il faut donc des dispositifs spécifiques et encore plus dans les territoires fragiles, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une île. »
Enquête de séro-prévalence en rade
Le projet de green pass proposé par le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, n’a pas été évoqué, malgré l’appel lancé au gouvernement, mercredi, veille de la prise de parole du Premier ministre, invitant ce dernier à faire connaître sa position. Apparemment, Édouard Philippe a refermé le tiroir sur la proposition de la Corse.
Il n’empêche, il faudra que cela soit dit explicitement, d’autant que la saison estivale doit démarrer. « Nous sommes en plongée sous-marine, poursuit Paul-André Colombani, il faut remonter. Si on le fait trop rapidement, on va tuer du monde et si on ne le fait pas assez vite, on va asphyxier notre économie. Il faut trouver le bon dosage, y compris en Corse, mais sans tomber dans le dogme non plus. Nous sommes sur des sables mouvants, la vérité des trois semaines écoulées n’est plus la vérité d’aujourd’hui. J’ai demandé depuis longtemps, avec un certain nombre d’experts, une enquête de séro-prévalence, basée sur 1 000 Corses tirés au sort, cette demande à l’adresse du Premier ministre est, pour le moment, perdue dans les circuits de la CPAM. Là encore, pas de réponse. »
Enfin, le député, également médecin, qui a voté mercredi dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, consultée sur le sujet, en faveur du déploiement de l’application StopCovid – il était le seul de son groupe et le seul député nationaliste à le faire – pense que l’outil « peut être efficace sur l’ensemble des territoires. Il a prouvé son efficacité depuis des années dans les pays d’Asie du sud-est. Cependant, certaines idées reçues devront être battues en brèche. La première crainte étant, en particulier, de dire que l’application ne sera pas efficace parce que les personnes âgées ne sont pas équipées de smartphones, ce qui est vrai. En revanche, les publics qui font circuler le virus, ce sont les jeunes, et 97 % de cette population est, elle, équipée de smartphones ».
Hyper réactivité prescrite
Le président de l’Ordre des médecins de Corse-du-Sud, Jean Canarelli, opère, lui, une synthèse en bonne forme de l’intervention. « J’ai retenu du discours d’Édouard Philippe que nous avons été collectivement bons, que malgré tout, il faut rester prudents, qu’il s’agit d’une question d’organisation et que la responsabilité individuelle, désormais, monte d’un cran. C’est individuellement que nous devons être bons, encore une fois, et c’est à ce prix que l’on retrouve la liberté. Aujourd’hui, on voit bien qu’en France, l’épidémie est contenue. Il n’y a pas plus de raison de s’inquiéter de quelqu’un qui vient de Marseille, d’Aquitaine ou de Bretagne. »
Il n’est pas particulièrement déçu que le Premier ministre n’ait pas parlé de la Corse. « Nous devons être traités comme tout le monde, les précautions doivent être nationales et internationales, nous ne sommes ni seuls ni isolés, nous faisons partie d’un tout, nous répondons aux mêmes risques que tout le monde et devons nous protéger comme tout le monde pour que ça marche. »
Ceci étant, la vigilance est plus que jamais requise, prévient Jean Canarelli. « L’on a pu observer, sur l’ensemble de la France, qu’il existe bien une problématique de cluster. Dès lors, le maître mot qui doit présider, c’est la nécessité d’être hyper réactif. Et en cas de doute, tester, tester à nouveau, recommencer et, à partir de là, élargir si un cas positif est recensé. On a bien vu la différence entre Ajaccio, la première touchée, où la situation n’a pas été maîtrisée immédiatement, et Bastia où on s’est montré très prévoyant notamment au retour des touristes d’Italie. Dès l’apparition de signes, il y a eu dépistage, confinement et en se protégeant on a protégé les autres. »
Cet été, le comportement de chacun va jouer, persuade le médecin, il faudra faire attention « en plein air et en milieu fermé » . Respecter également, scrupuleusement, la règle des regroupements limités à dix personnes grand maximum. « Mais il faut être optimiste et se dire que le virus peut être saisonnier. Pour le coup, cela serait un avantage estival, sauf que nous n’en avons pas la certitude » . Quant à l’application StopCovid, « a seule chose qui m’importe, c’est qu’elle soit garante du secret médical et de la confidentialité » .
ANNE-C. CHABANON
ANNE-C. CHABANON