La feuille de route territoriale pour le tourisme en Corse est présentée aujourd’hui à Ajaccio. Jacqueline Gourault et Jean-Baptiste Lemoyne, respectivement ministre de la Cohésion des territoires et secrétaire d’État chargé du tourisme, commentent ses principaux axes.
|
||
Jean-Baptiste Lemoyne, lors de la visite en septembre dernier à Bonifacio. FLORENT SELVINI |
Les socioprofessionnels du tourisme ont réclamé dès le premier confinement un plan spécifique pour le tourisme corse. Le 14 mai, il a été acté, à l’occasion d’un comité interministériel, l’élaboration d’une feuille de route, un dispositif sur mesure pour les territoires dont l’économie est la plus dépendante du tourisme. Les vives inquiétudes des socioprofessionnels corses se sont-elles vérifiées ?
Jacqueline Gourault : Oui, d’une manière générale, nous sommes bien conscients que certains territoires sont beaucoup plus touchés par la crise de la Covid. Il s’agit en particulier des territoires touristiques au sens large : stations de montagne, stations thermales, villes de bord de mer. Il est bien évident que la Corse est particulièrement concernée puisque le tourisme représente un quart de son PIB, à cela il faut ajouter les conséquences sur les autres acteurs de l’économie, je pense aux services, aux transports, aux commerces. À titre d’exemple, on sait que dans les zones les plus touristiques de Corse, les enseignes de grande distribution font 50 % de leur chiffre d’affaires durant la période estivale. Les retombées sont donc très importantes. Il faut aussi souligner la spécificité pour l’emploi car, pendant la période estivale, les déclarations préalables à l’embauche sont très significatives avec une augmentation massive sur les mois d’été. Donc c’est une situation tout à fait spécifique et c’est ce qui a motivé le gouvernement à la réalisation d’une feuille de route touristique pour la Corse.
Jean-Baptiste Lemoyne : Très clairement, depuis le début de la crise, l’État est aux côtés des professionnels du tourisme en Corse. Nous avons une stratégie bâtie sur deux piliers : d’une part réparer et venir en soutien de façon urgente à ces professionnels pour passer le cap. Ensuite, préparer l’avenir, la relance et les réouvertures. C’est dans ce cadre-là que s’inscrit la feuille de route territoriale. J’avais plaidé lors du comité interministériel du 14 mai pour la mesure 21, qui préconise des feuilles de routes territoriales dédiées à la Corse, Lourdes et à l’Outre-mer. Aujourd’hui, sur le pilier numéro 1, les chiffres sont parlants pour la Corse : sur la réparation, et le soutien, plus de 400 millions d’euros ont été mis en œuvre au profit des professionnels du tourisme corses au travers de l’activité partielle, du fonds de solidarité, des exonérations, des prêts garantis par l’État. C’est un soutien massif. Avec cette feuille de route, nous nous tournons vers la relance et l’avenir, vers un tourisme plus durable avec l’idée d’étendre la saison. Nous avons ainsi abouti à une belle feuille de route, le travail a été fructueux entre les services de l’État, l’Agence de tourisme de la Corse, naturellement, et Atout France. Il s’agit d’un document d’une trentaine de pages qui comprend un certain nombre d’actions. En tout, ce sont 24 millions qui vont être engagés en partenariat, au bénéfice du tourisme corse.
Quelle a été la méthode de travail ?
J.-B. L. : Depuis près d’un an, le travail a été mené localement sous l’égide de l’Agence de tourisme de la Corse (ATC). Lorsque Jacqueline Gourault et moi-même avons accompagné le président de la République début septembre en Corse, j’ai tenu à rencontrer tous les professionnels du tourisme à travers leurs associations représentatives, leurs syndicats, les fédérations, les offices. Nous avons ainsi eu l’occasion de travailler pour que des premières actions voient le jour.
Quelles sont les grandes actions que vous présentez aujourd’hui ?
Cette feuille de route contient des objectifs et des actions qui, pour certaines, sont déjà très concrètes. Je pense notamment au tourisme durable. Nous fléchons dans cette direction cinq millions d’euros du fonds « Tourisme durable » national sur la Corse. Un certain nombre de dossiers ont déjà été remontés vers l’Ademe pour accompagner l’hôtellerie de plein air, les restaurants et les hébergements touristiques, par exemple dans la gestion de leurs déchets.
Parmi les principales actions, on parle d’une foncière tourisme et d’une expérimentation d’un CDI saisonnier qui est une demande très ancienne des socioprofessionnels corses. Comment ces deux dispositifs se présentent-ils ?
L’idée de la foncière tourisme est d’accompagner un certain nombre d’établissements pour les aider en fonds propres, pour le portage des murs. Cette foncière sera une filiale de la Cadec avec un engagement de la Banque des territoires. Certains hôteliers insulaires ont vraiment beaucoup souffert de la crise sanitaire, ce portage leur sera très utile. Plusieurs dispositions seront mises en œuvre en faveur des saisonniers. Parmi celles-ci, il y a effectivement un dispositif type CDI quatre saisons. La feuille de route inscrit donc l’idée d’expérimenter ce contrat en le testant dans un premier temps avec quelques employeurs. Nous sommes là un peu dans l’innovation et les paramètres ne sont pas encore arrêtés.
Quelles sont les autres mesures en faveur des saisonniers ?
J.-B. L. : La Corse est un territoire éminemment touristique avec un tiers de sa richesse générée par le tourisme, de nombreux emplois y sont afférents. On compte dans ce secteur à peu près 20 000 emplois fixes et quasiment autant en saisonniers. Toutefois, il n’existe pas encore d’espace qui soit dédié à cet emploi saisonnier. La création d’un village de saisonniers pourrait donc venir leur apporter un certain nombre de services, d’informations. Il y a également la volonté de favoriser l’apprentissage. Nous allons donc essayer de rapprocher l’offre et la demande par le biais d’une plateforme numérique. Le tourisme constitue un secteur où l’on risque de se retrouver assez rapidement en tension. La reprise va être forte. Or certains employés du tourisme se sont parfois réorientés. Un certain nombre d’organisations patronales et syndicales redoutent ainsi d’être confrontées au manque de personnels. Nous avons donc besoin de renforcer l’attractivité de ces métiers si importants.
Vous parlez d’une enveloppe de 24 millions d’euros pour cette feuille de route. Comment serat-elle concrètement financée ? J.-B. L. : Nous sommes dans une logique partenariale entre l’État et la Collectivité de Corse. Selon les actions, l’État aura parfois une part plus importante que la Collectivité et inversement. Tout cela a été discuté. L’État et la Collectivité de Corse ont notamment acté l’idée de mettre pas moins de quatre millions d’euros sur un dispositif d’aide à l’investissement pour les TPE-PME du tourisme, dans le cadre du PEI.
Les socioprofessionnels pourront-ils cumuler les aides du plan de relance pour le tourisme et les dispositifs proposés par cette feuille de route ? J.-B. L. : Oui. Les mesures qui ont été prises pour aider à passer le cap de la crise sanitaire se poursuivent car nous ne sommes pas encore sortis de la pandémie. Le président de la République et le Premier ministre ont été clairs sur le fait qu’on ne débrancherait pas les dispositifs d’un seul coup, qu’il faut accompagner la reprise puisque la réouverture des activités sera progressive et que, par définition, les équilibres économiques ne seront, au début, pas toujours là. Il est donc important de les maintenir, quitte à les ajuster.
PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLINE MARCELIN
Des « actions » pour 24 millions d’euros
La feuille de route réalisée avec l’ATC présente une dizaine d’actions parmi lesquelles : Accentuer le soutien à l’investissement et l’accompagnement des TPE-PME dans le secteur touristique, 4,257 millions d’euros du PEI sont alloués à cette fin. Le dispositif sera géré par l’ATC. La création d’une foncière de tourisme, gérée par la Cadec avec le soutien de la Banque des territoires ; le renforcement de l’accompagnement des projets touristiques avec l’aide de la Banque des territoires et d’Atout France ; la sécurisation des parcours professionnels, notamment par l’expérimentation d’un CDI quatre saisons ; la régulation de la location touristique meublée ; l’accompagnement des acteurs du tourisme vers une transition écologique ; la création d’une chaîne insulaire d’hébergement haut de gamme et enfin la promotion de la destination corse. C. M.