À l’occasion d’une table ronde organisée hier à Bastia par la chambre de commerce et l’Umih Corsica, armateurs et compagnies aériennes se sont vus reprocher des politiques tarifaires qui pénaliseraient la destination Corse. Des critiques auxquelles ils n’ont pas manqué de répondre.
Le coût des transports est-il un frein à la fréquentation touristique de la Corse ? La question revient à intervalle régulier dans le débat public comme dans les conversations de café. Hier à Bastia, les socioprofessionnels se sont réunis pour l’aborder frontalement, dans le cadre d’une journée de concertation « Transports externes » organisée conjointement par la chambre de commerce et d’industrie de Corse et par l’Union des métiers et industries de l’hôtellerie de Corse (Umih-Corsica).
Une journée divisée en deux temps : les transports maritimes le matin, les transports aériens l’après-midi. Autour de la table : les acteurs institutionnels (CCI, office des transports, agence du tourisme de la Corse…), les représentants des compagnies et de tous les secteurs d’activité liés au tourisme.
Le tour de table inaugural, censé servir à exprimer « le ressenti » de chacun, tourne vite à une critique des opérateurs maritimes. « Aujourd’hui, on ressent un gros souci avec la régularité des liaisons, des annulations de dernière minute, des reports de rotation à 48 heures, déplore Carole Leccia, au nom du Cercle des grandes maisons de Corse. On sait que les gens se détournent de la Corse à cause des transports. »
Trojani contre-attaque
Les critiques portent plus encore sur la question des tarifs. « On est effarés d’entendre les prix payés par certains clients pour venir en Corse, explique un des participants. Des prix équivalents à ceux d’un Paris-New York. »
Particulièrement ciblés, la Corsica Ferries et son président Pierre Mattei, leaders sur le transport passagers par voie maritime. Comme tous les armateurs présents, celui-ci assure tout d’abord qu’il a revu ses tarifs à la baisse pour cette saison 2024. Mais il ajoute : « Si on veut que les compagnies proposent des prix intéressants en basse saison, il faut qu’elles se rattrapent en saison estivale avec des prix plus hauts. En cela, nous faisons comme les hôteliers. Pour cette raison, il n’est pas juste de dire que tout le problème réside dans le prix des transports. »
Une question qui va donner lieu à un échange musclé entre Dominique Istria, un représentant du secteur des tour-opérateurs, et Pascal Trojani, le président de Corsica Linea. Le premier assure que la différence de compétitivité entre la destination Corse et les autres résulte uniquement du prix des transports : « Au niveau de l’hôtellerie et de l’hébergement, les prix ont augmenté en Croatie, au Portugal et en Italie. Ils sont aujourd’hui équivalents à ceux proposés en Corse. »
« On est effarés d’entendre les prix payés par certains clients pour venir enCorse, explique un des participants. Des prix équivalents à ceux d’un Paris-New York »
« Il faut peut-être diminuer les effectifs »
Une assertion qui révolte l’armateur : « Nous aussi nous voyageons et nous voyons les prestations et prix pratiqués ailleurs, rétorque Pascal Trojani. Dire qu’à prestation équivalente, on a les mêmes prix en Corse et en Italie, ce n’est pas possible. »
Après la pause déjeuner, c’est au tour du secteur aérien. Un moment désagréable pour Air Corsica et Air France, les compagnies en charge de la desserte publique de l’île, les seules à avoir répondu à l’invitation. Parmi les reproches qui leur sont faits : des prix dissuasifs qui peuvent dépasser les 700 euros pour un aller/retour.
Jean-Baptiste Martini, le directeur commercial d’Air Corsica a beau souligner que ces billets « représentent 0,6 % de l’offre de la compagnie » ; Jean-François Viduch, directeur des ventes chez Air France, a beau expliquer que « ces tarifs ne concernent que des vols pleins et ne découragent personne devenir en Corse », rien n’y fait.
Gilles Simeoni, le président de l’exécutif, leur demande de mettre un terme à cette pratique : « À chaque fois qu’un billet à 800 euros est émis, il donne lieu à 100 posts sur Facebook qui font une mauvaise publicité à la destination Corse. »
Mais les recommandations vont plus loin. Aux deux opérateurs qui mettent en avant les complexités de l’équation économique à résoudre pour être compétitifs dans un marché plombé par la saisonnalité, le président de l’exécutif livre une « piste de réflexion » : « Pour que ces compagnies puissent dégager des profits, il faut en partie diminuer les effectifs et peut-être en partie baisser les rémunérations. »
Les intéressés apprécieront sans doute.
Des « solutions » à moyen terme
Hier, dans la grande salle de l’hôtel consulaire à Bastia, des désaccords se sont manifestés. Des incompréhensions ont été livrées entre professionnels de tourisme et élus qui ne partagent pas toujours la même lecture du tourisme en Corse.
D’aucuns en sont néanmoins convenus : l’enjeu de cette journée de concertation est de « trouver des solutions » en travaillant de concert.
Si les intentions sont bonnes, sur le papier, c’est parfois plus malaisé à les mettre en forme.
Trouver des synergies, identifier des moyens à mutualiser pour optimiser les transports en Corse et faire baisser leur prix, tout tourne toujours autour du coût.
Ainsi, avec les compagnies maritimes et aériennes présentes, plusieurs pistes ont été évoquées. Parfois, les dispositifs semblent bien arrêtés, d’autres fois encore fragiles en l’absence de certitudes quant à leur faisabilité juridique et de conditions d’attribution relativement floues. C’est dire si le chantier est vaste.
TARIF PRÉFÉRENTIEL SUR LA BASE DE QUOTA
Mais d’emblée, pour lutter contre la para-hôtellerie, un package hébergement marchand et transport maritime est avancé avec la possibilité de mettre en place un tarif préférentiel pour les voyageurs sur la base de quota.
« ACHAT DE FLUX » SUR DES DESTINATIONS EUROPÉENNES
Du côté aérien, pour faire chuter les prix et allonger la saison, un système « d’achat de flux » sur une dizaine de destinations européennes qui sécuriserait les compagnies a été détaillé par Gilles Simeoni. Il sera prochainement présenté à l’Assemblée de Corse, l’Exécutif espère le voir entrer en vigueur dès 2025.
BILLET 30 % MOINS CHER DANS UN PACK
L’agence de tourisme de la Corse a établi un partenariat avec Air Corsica afin de permettre aux touristes de bénéficier d’un prix du billet d’avion de 30 % moins cher cet été sur des billets faisant partie d’un « pack ». Un dispositif qui rejoint sensiblement celui proposé par les socioprofessionnels.
« Il ne faut pas opposer le maritime et l’aérien »
Flora Mattei, présidente de l’o!ce des transports, a assisté aux échanges qui se déroulaient hier à l’hôtel consulaire de Bastia entre professionnels du tourisme, autour de la question centrale des transports en Corse. Un secteur d’activité qui conditionne l’accès à la destination Corse.
Pour les professionnels, l’un des freins majeurs au tourisme en Corse est le transport. Plus exactement son coût, entendez-vous cette critique ?
On l’entend dans le sens où il faut qu’on analyse. En ma qualité de présidente de l’offce des transports, je suis en charge de la continuité territoriale, ce qui veut dire qu’en termes de passagers, ce sont les opérateurs privés qui fixent la tarification. Il s’agit de l’o”re et de la demande, et à ce niveau, l’o!ce ne peut pas influencer car elle n’a pas la main.
Si des règles strictes existent et empêchent la puissance publique d’intervenir, comment travaillez-vous sur cette problématique ?
Nous y travaillons. Mais quand on parle de fiscalité écologique, on sait que cela ne va pas s’améliorer dans le maritime comme dans l’aérien. Dans le maritime, nous allons rentrer l’année prochaine dans une zone Seca* c’est-à-dire que la seule façon de faire baisser les émissions de gaz à e”et de serre, c’est de réduire la vitesse des navires et donc le nombre de rotations possibles par jour. Et quand on raréfie l’offre, cela augmente les tarifications globales.
« Il faut plus de monde sur les ailes de saison »
Une forte concurrence entre le maritime et l’aérien a été soulevée lors de la réunion. Sur ce point, vous semblez en désaccord avec le président de la compagnie Corsica Ferries…
Je ne suis pas d’accord et je lui ai fait savoir. Il ne faut pas opposer le maritime et l’aérien car ils sont complémentaires. La personne qui va programmer ses vacances en Corse quand elle prend un avion, elle a une logique de consommation sur place qui est différente de celle du passager qui va embarquer sur un navire avec sa voiture comme sa famille. Ce n’est pas la même typologie de passager.
Alors quels sont les grands enjeux du tourisme en Corse ?
Nos lignes sont claires, il s’agit d’une amélioration quantitative pour une déconcentration du tourisme. Nous voulons avoir un tourisme à l’année et non un tourisme de masse en juillet et août car nos infrastructures ne sont pas en capacité d’absorber de tels flux. La déconcentration est simple : il faut plus de monde sur les ailes de saison. Le service public a aussi aidé ces comportements en maintenant une o”re à l’année longue. Ensuite, il faut une équité sur toutes les plateformes aéroportuaires et portuaires pour que chaque bassin de vie de Corse puisse en bénéficier de la même façon.
*Zone de contrôle des émissions d’oxydes de soufre et de particules (zone Seca)